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présidence du pape Paul III. A travers ces tableaux si différens, l’auteur poursuit une idée bien digne de son âme affectueuse et de sa rare intelligence : il cherche le point où la conciliation est possible entre le catholicisme et la religion de Luther. Le héros du roman, Albert Holm, aime tour à tour deux femmes qui ne se ressemblent pas, la douce et naïve Agnès de Francfort, et la fière Napolitaine Lucrezia, comtesse de Monte-Felice. Toutes les deux sont catholiques, et fournissent à l’auteur une piquante occasion de déployer ses théories.

Albert Holm fait le plus sérieux honneur à cette renaissance littéraire dont nous signalons les symptômes. Cette belle œuvre nous offre autre chose qu’une intéressante peinture de l’Italie et de l’Allemagne au xvr siècle; on y voit se déployer avec une cordialité sincère le christianisme de l’écrivain. Bien des esprits élevés, en Allemagne, appellent de tous leurs vœux le réveil de la pensé, chrétienne. Ce désir de réunion qui préoccupa les grandes âmes de Bossuet et de Leibnitz semble se ranimer de nouveau. On ne discute plus, comme au XVIIe siècle, les bases d’une négociation théologique; mais, dans le désarroi général, on s’attache des deux côtés à se prêter assistance. On est moins frappé des dissentimens, on l’est davantage de tout ce qui peut rapprocher les deux cultes. Les protestans que l’esprit chrétien anime saluent cet esprit chrétien partout où ils en rencontrent la trace, sans se soucier des vieilles rancunes et des préjugés séculaires. Les catholiques de Vienne et de Munich, des esprits originaux et hardis comme Dœllinger et Gunther, reconnaissent que, sans le développement si hardi de la théologie protestante, la théologie catholique de l’Allemagne serait sans doute aussi stérile et aussi pauvre qu’en d’autres contrées de l’Europe. Il se forme, en un mot, une sorte de terrain commun, et il n’est pas impossible que l’Allemagne, après avoir fait une brèche si profonde a l’église du XVIe siècle, ne reconstruise un jour sur ce terrain la basilique chrétienne. Une preuve que ces idées se répandent, c’est que les voilà déjà hors de l’enceinte des écoles. M. d’Uechtriz s’en est manifestement inspiré : ses protestans n’ont pas de passions altières, ses catholiques n’ont pas de préjugés haineux. Conduit par la généreuse pensée qui le possède, l’auteur est naïvement infidèle à l’histoire; Lanoue ne reconnaîtrait pas Albert Holm pour un soldat de sa confession, et Montluc n’aurait pas envie de le pendre au premier chêne de la route. Les violences du XVIe siècle ont disparu de ce tableau; c’est une sereine et bienfaisante peinture. L’auteur, protestant pieux et zélé, ne craint pas de signaler résolument certaines influences mauvaises de cette religion qu’il aime. Qu’il continue donc ces belles études, qu’il les continue dans le même esprit d’apostolat chrétien. Il s’était préparé une place brillante comme poète dramatique : le roman, s’il y apporte toujours une inspiration aussi élevée, lui réserve plus d’un triomphe. Son style s’affermira peu à peu; son imagination deviendra plus dramatique et plus vive sans renoncer aux consciencieuses recherches. L’érudition historique et la pensée religieuse se combineront plus habilement avec la vérité poétique, et l’auteur d’Albert Holm reprendra le rang que les amis des lettres sérieuses regrettaient de lui voir abandonner si tôt.

Ce ne sont pas de religieuses préoccupations, ce n’est pas le souci d’une prédication morale qui se manifeste dans l’énergique roman dont je vais parler. L’auteur anonyme de Carrara est un débutant plein de vigueur, et il