clubs philosophiques, est obstinément attachée aux mêmes folies. Nous pensions que Falkenberg voulait recommencer sa vie pour en faire un meilleur usage; il veut seulement recommencer la prédication de ses utopies hasardeuses, et pour cela il se place à la source même des générations qui doivent posséder l’avenir; il s’empare de l’école primaire. La profession de foi de Falkenberg est curieuse; le faux Eugène Baumann a trouvé à Erlenmoos un collègue nommé Deeger, nature simple et droite, esprit libéral, républicain même et profondément religieux; c’est à ce digne paysan que le disciple des jeunes hégéliens exposera l’idéal nouveau des sociétés humaines et les espérances de l’avenir. Un jour que Deeger a conduit son collègue à l’église pour lui apprendre à toucher de l’orgue, l’entretien tombe bientôt sur l’éducation, sur la destinée humaine, et Deeger entend là maintes paroles qu’il a peine à comprendre. Peu à peu Falkenberg s’exalte; ce ne sont plus de simples formules jetées négligemment, c’est tout un discours, c’est un programme entier qu’il développe, comme si l’église était pleine et qu’il s’adressât à la foule :
« L’éternel exemplaire et l’immuable modèle du bien, ne dites pas que c’est le Christ, le Christ individuel, le Christ qui a vécu et qui est mort dans une époque déterminée; non, ce modèle sublime, c’est l’homme, l’homme idéal, l’homme tel que le genre humain l’a rêvé et à qui il a donné le nom de Jésus... La perfection première, la beauté accomplie de l’esprit et du corps n’existe nulle part dans tel ou tel individu; elle existe, partagée entre tous... J’aime aussi le Christ et je le révère, mais je vois en lui, comme dans Socrate, dans Aristide, dans Luther, dans Franklin, dans Washington, les imperfections qui tiennent à l’état de chaque période. Ce n’est pas le Christ individuel, c’est le Christ idéal qu’il faut avoir en soi. Tu sais ce que nous a enseigné le Grec Euclide; il n’y a ni ligne ni point dans la nature, et cependant ces abstractions de la pensée sont les mesures exactes qui nous servent à déterminer toute chose. Tu crois au Christ; moi je crois à l’idéal de l’homme, bien que cet idéal, je le sais, ne doive jamais s’offrir à moi sous une forme visible. Tu crois au monde surnaturel; je crois à ce monde où je suis né, je crois à la perfection de l’humanité ici-bas, je crois à la bonté incorruptible de l’homme. Tu crois en Dieu, et tu ne perds pas confiance, quoique ses voies te semblent mystérieuses et ses desseins impénétrables; je crois à l’humanité, je crois que sa destinée est d’atteindre à la sainteté absolue et à l’absolue beauté, bien que le spectacle du servilisme et de la tyrannie s’efforce d’ébranler ma foi. Des milliers d’hommes croient à la bonté de Dieu, de ce Dieu qu’ils ignorent et dont l’action immédiate leur est cachée : je ne les en blâme pas; qu’ils nous permettent seulement de croire à la bonté du genre humain si hautement attestée partant d’actes héroïques. La foi, c’est l’indestructible. La foi n’a pas besoin d’une lumière qui lui vienne du dehors, elle tire, elle verse la clarté du sein de ses profondeurs; tel l’enfant merveilleux qu’a représenté le Corrège. Ne pense pas que ma croyance soit faible, parce que faible est son objet; elle est si forte qu’aucun homme, aucune nation, n’auraient la puissance de l’anéantir. L’astronomie nous apprend que les étoiles ne sont pas placées à l’endroit où nos instrumens nous les montrent; il est de même de l’homme et du foyer lumineux de sa vie spirituelle. J’estime les hommes plus qu’ils ne s’estiment eux-mêmes, car ce que j’estime en eux, c’est la pure humanité,