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entraînée dans notre orbite. De 1815 à 1848, le développement brillant, l’activité aventureuse, les tentatives fécondes et les misères de toutes sortes qui avaient signalé cette période s’étaient reproduits chez nos voisins avec une merveilleuse exactitude. Après la révolution de février, les clameurs de Paris retentissent à Berlin et à Vienne; le socialisme, déchaîne dans nos carrefours, se crée au-delà du Rhin une langue et des systèmes particuliers; chaque peuple, conservant sa physionomie, obéit cependant à une impulsion commune que la France a le privilège de conduire, et pendant trois années les lettres germaniques, comme les lettres françaises, présentent toutes les péripéties d’une lutte immense; il n’y a plus qu’une cause en jeu, une cause suprême, la ruine ou le salut du monde. Aujourd’hui enfin que voyons-nous? — Une période nouvelle qui commence. La littérature s’éloigne de plus en plus des voies politiques. L’Allemagne cherche comme nous des routes plus calmes; le roman, la poésie, la philosophie, les lettres charmantes et sérieuses, s’y relèvent peu à peu, comme les arbres et les fleurs après que la tempête a passé.

Je voudrais rassembler ces symptômes, je voudrais suivre dans ses directions diverses ce mouvement d’un grand peuple. Depuis deux ans déjà, désabusée de ses chimères ou ajournant ses espérances, l’Allemagne avait senti combien d’obstacles s’opposaient à son vœu le plus cher; l’unité germanique était redevenue ce qu’elle était jadis, ce qu’elle sera toujours peut-être, un idéal proposé aux sentimens des peuples, et qui, repoussé par les institutions, doit rayonner de plus-en plus dans le domaine de la culture morale. La terreur du socialisme, les souvenirs de la guerre civile, tout cela s’effaçait. Des révolutions de 1848, il ne restait que certaines conquêtes légitimes, certains principes bien établis, une rupture décidée avec les restaurateurs du moyen âge, un sentiment de la vie publique, trop étouffé naguère, et qui est aussi indispensable au développement intellectuel d’un peuple que la circulation du sang à la nourriture du corps humain. Ajoutez à cela le repos, le loisir, biens si précieux au lendemain des crises sanglantes. L’Allemagne ne devait-elle pas revenir avec joie aux enchantemens de l’étude? Ceux-ci, que ne satisfait pas la situation présente, ont trouvé dans la poésie une consolation à leurs espérances trompées; ceux-là, guéris de leurs ambitions, ou salutairement troublés par ces grands coups que frappe la Providence, ont confié aux lettres le résultat de leurs épreuves. Des inspirations bien différentes se croisent, comme on. voit, dans ce mouvement simultané des esprits; il y aurait profit à les distinguer avec soin. Sans doute, cette phase nouvelle que je signale ne présente pas jusqu’à présent un groupe de monumens glorieux : qu’importe, si l’on se préoccupe ici, avant toute chose, des symptômes de la pensée publique? Parmi les représentans de la génération qui occupait la scène avant 1848, les uns se taisent, les autres ont repris la parole, et nous font assister aux transformations de leur esprit. La génération qui s’avance, bien qu’indécise encore, apporte aussi maints élémens nouveaux, et les triomphes exagérés qui couronnent certaines ébauches ont souvent, pour l’observateur attentif, plus d’importance que les œuvres elles-mêmes. Ce sont ces divers courans de l’opinion, ce sont ces tendances ou secrètes ou déclarées, c’est toute cette vie de l’intelligence et de l’âme qu’on aime à découvrir dans le mouvement littéraire de l’Allemagne.