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énorme tête, envoyant par les airs le canot d'Ahab. L'indomptable capitaine, que le Pequod retrouve cramponné à un débris de sa barque, n'est pas plus tôt monté sur le pont, qu'il s'informe de la direction prise par Moby Dick, et ordonne de mettre au vent toutes voiles pour la rejoindre. Cependant il est frappé au cœur par un sinistre présage.

Entre Fedallah et lui, comme entre Macbeth et les sœurs barbues, existent des rapports d'un ordre surnaturel. Le parsi lui a prédit une mort violente, mais sous deux conditions : d'abord Fedallah doit prendre les devans ; ensuite, une fois mort, il doit réapparaître au capitaine du Pequod. Or, après la lutte du second jour, Fedallah, sans qu'on s'explique sa disparition, ne s'est plus retrouvé parmi l'équipage.

Maintenant voici la troisième et suprême journée, celle qui semble devoir tout décider. Au lever du jour, Moby Dick n'est plus en vue. Les heures s'écoulent, — il est près de midi ; elle n'a pas encore été signalée. Ahab réfléchit alors que la baleine blanche, frappée de tant de coups, garrottée de tant de liens, n'a pas dû voyager avec sa rapidité habituelle, et que dans son aveugle élan, servi d'ailleurs par la brise qui enfle ses voiles, le Pequod doit l'avoir dépassée. Il ordonne alors de virer, et revient sur ses pas à la rencontre de cette formidable ennemie. Ils se rencontreront cette fois face à face et seule à seul, car, dès le début du combat, les deux barques des seconds sont chavirées par Moby Dick ; celle d'Ahab résiste seule à ce premier choc, et bientôt elle est bord à bord avec l'ennemi. À ce moment, le flanc de Moby Dick est hors de l'eau, et là, maintenu par le réseau des cordes entrecroisées et nouées qui enveloppent depuis la veille sa masse énorme, le cadavre du parsi apparaît à demi-nu sous ses noirs vêtemens en lambeaux ; ses yeux ternes et fixes, tournés vers Ahab, semblent lui dire que la prédiction s'accomplit. À cette vue, l'intrépide capitaine sent ses mains prêtes à lâcher le harpon qu'il brandissait sur Moby Dick ; mais cette faiblesse n'arrête qu'un instant l'arme meurtrière, et la barque d'Ahab, entourée de requins qui, préludant ainsi à d'autres festins, essaient leurs dents sur les rames des matelots, poursuit encore la baleine blessée. Celle-ci, renonçant à la lutte, s'éloigne sans répondre à cette dernière attaque.

Ahab se trouve ainsi ramené près du Pequod, assez près pour distinguer Starbuck accordé aux lisses, et lui enjoindre de le suivre à distance. Il voit en même temps Tashtego, Daggoo et Queequeg monter aux trois mâts, tandis que Flask et Stubb s'occupent, sur le pont, à faire réparer leurs barques avariées. Enfin, dans ce moment décisif, il avise que le pavillon est tombé du grand mât, et il ordonne