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chasse loin de lui avec mille reproches tous ses autres fils, qui viennent en foule, dans leur officieuse piété, l’entourer de leurs soins. Un bon critique (il n’y en a pas de meilleur que M. Fox) dirait que c’est là Un de ces coups de maître qui attestent dans le père de la poésie une intelligence profonde de la nature ; il mépriserait un Zoïle qui conclurait de ce passage qu’Homère a voulu représenter ce vieillard, dans sa douleur, comme plein de haine ou même d’indifférence et de froideur pour les tristes restes de sa maison, et qu’il préférait à ses enfans vivans un cadavre inanimé. » Mais Priam est un père au désespoir, et ne siège pas, en ce moment-là, parmi les vieillards, délibérant en roi sur le destin d’ilion.

Il existe une raison meilleure pour expliquer les variations de Burke, et montrer, sans les absoudre entièrement, qu’elles sont moins extraordinaires que ne l’ont trouvé ses contemporains. Il ne se peut pas qu’une inconsistance désintéressée soit un effet sans cause, et dont le principe logique n’existe pas dans l’esprit auquel on la reproche. En ce sens, il n’y a point de pure inconséquence, et nous n’avons pas négligé de faire entrevoir comment Burke avait pu, sans trop de contradiction, être amené à des opinions toutes nouvelles dans sa vie. Le public juge assez grossièrement les hommes d’après la cause qu’ils soutiennent, et non d’après les raisons qui les déterminent. Le caractère du libéralisme de Burke a déjà été indiqué. On ne saurait trop le redire, toute société bien réglée, toute société qui ne languit pas sous une oppression accidentelle est gouvernée par deux principes : la tradition et la raison ; — la tradition, qui n’est pas toujours contraire à la raison, la raison, qui n’est pas toujours conforme à la tradition. En Angleterre, l’un et l’autre principe se partagent l’empire, et quand par aventure entre l’un et l’autre survient un conflit, il est le plus souvent terminé par une transaction dans laquelle la raison gagne quelque chose sans que la tradition perde tout. Les révolutions de l’Angleterre ne sont que des réformes. L’histoire et la réflexion lui servent de guides. Tout Anglais concilie dans son esprit en proportions diverses, mais concilie cependant le fait et l’idée : c’est l’heureuse destinée que la Providence a faite à cet heureux pays. Bien rarement un esprit sain se porte en Angleterre à l’une de ces extrémités qui sacrifient absolument la pensée à la routine ou l’expérience au raisonnement ; mais la plupart des esprits penchent vers l’une ou l’autre, quoique tous s’efforcent de tenir la balance égale. Burke avait toujours prétendu, non-seulement tempérer l’une par l’autre, mais unir, mais confondre la raison et la tradition. Il employait toute la puissance de ses facultés à créer en chaque chose la théorie de la pratique, à trouver aux faits une philosophie conforme. On citerait vingt passages très explicites, très réfléchis, où il parle avec aversion