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deux : «la déclamation nerveuse qui emporte et qui écrase, et l’argumentation rapide et serrée. » Burke surtout ne méritait pas l’éloge qu’il donnait lui-même à Fox, d’être « devenu, par de lents progrès, le discuteur (debater) le plus brillant et le plus accompli que le monde ait jamais vu. » Il y a des discours dont on peut dire qu’ils sont des actes de gouvernement. On ne peut le dire des discours de Burke. En général, il ne savait pas gouverner, et, à vrai dire, il n’y prétendait pas. Nous l’avons vu souffrir un peu, mais prendre son parti de n’avoir point touché au pouvoir. Pour qu’il n’ait pas été ministre avec la coalition, il faut bien qu’il s’y soit prêté. Il se sentait plus propre à influer sur les affaires qu’à les diriger, et sa parole même excellait à éclairer, à instruire, à émouvoir, plutôt qu’à dissiper des préjugés, à résoudre des difficultés, à détruire des objections. Il savait mieux surpasser un adversaire que le réfuter. La force dans la discussion pratique est l’éloquence éminente de l’orateur de gouvernement. Ce talent était incomparable chez Fox, et c’est là le talent utile; l’homme d’état le prise au-dessus de tout autre : ce n’est pas celui que devait le plus apprécier Burke, et ce n’était pas le sien. Il parlait pour satisfaire son cœur et sa raison, plus possédé par sa pensée que par son rôle, plus préoccupé de son sujet que de son auditoire. Il visait au vrai et au beau plus qu’au triomphe du vrai et du beau. Il écoutait trop son talent, et ne songeait à s’emparer des assemblées que par l’admiration. Quoiqu’il portât sur les affaires humaines une vue perçante, il les jugeait plutôt avec la sagacité de l’historien et du publiciste qu’avec le coup d’œil pratique qui sert à les conduire. Il décrivait le mal, indiquait parfois le remède : il n’aurait pas su l’appliquer. De même ses discours laissent apercevoir un certain défaut d’habileté. Le métier d’orateur n’est supérieur à celui d’écrivain que parce qu’à plusieurs des meilleures qualités de l’écrivain, il faut ajouter quelque chose de l’habileté qui gouverne les hommes, et tout cela encore, il faut le mettre en valeur et l’animer par le don inné de la présence d’esprit. Cependant, si les discours de Burke ne satisfont pas à toutes ces conditions, s’ils satisfont à d’autres peut-être plus brillantes, la forme n’en est pas moins belle, et précisément parce qu’ils ont pu dans leur temps paraître plus propres à remporter le succès du talent que celui de la cause, ils y gagnent de pouvoir être lus mieux que les discours de Fox et des deux Pitt. Non pas que je veuille dire que ce sont des discours écrits, et qu’il manque d’improvisation; mais on y remarque surtout l’improvisation d’un artiste, et par l’ordonnance, la composition, l’étude approfondie du sujet, l’abondance des ornemens, la richesse des allusions et des souvenirs, ils ont un caractère de haute littérature. Lord Erskine disait qu’il avait un grand défaut pour un orateur