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Dans sa police préventive, il ne doit se montrer qu’avec réserve; s’il descend de l’état à la province, de la province à la paroisse, de la paroisse à la maison, il marche à sa perte. Aucun gouvernement n’est, sous ce rapport, resté dans la mesure, et si, par exemple, les jacobins ont prévalu contre une antique monarchie, c’est qu’ils ont usé des armes que leur ont fournies ses fautes. Or la plus grande de ses fautes, son vice capital était un insatiable besoin de trop gouverner. De là en partie la révolution. » Que dirait-on de mieux aujourd’hui?

Burke concluait que si un gouvernement ne voulait sentir bientôt sa faiblesse, il devait ménager sa force, et surtout ne pas s’épuiser en vains efforts pour garantir la subsistance du peuple. Ces sages idées, il y revient dans une de ses dernières lettres adressées à Arthur Young. Il s’y montre ennemi des mesures restrictives en matière d’approvisionnement, et les hommes d’état de l’Angleterre aimeront à en conclure qu’il les eût secondés dans leur généreuse réforme des lois commerciales de leur patrie. Heureux s’il n’avait eu à donner que de tels conseils à son gouvernement! mais notre siècle en réclame de plus difficiles et de plus périlleux, et Burke s’était jeté tête baissée dans la fournaise qui consume tout. Son esprit soutenait une lutte désespérée contre la révolution française, et sa prétention était que son pays fît avec les armes tout ce qu’il croyait accomplir avec son esprit. Son exaltation était encore accrue par la pitié respectueuse qu’une âme telle que la sienne devait porter au malheur. Tous les proscrits venaient à lui. Avant de quitter Londres, il avait reçu avec reconnaissance la visite du comte d’Artois et de ses fils. Plus que jamais il se sentait animé à prêcher la croisade contre la France, et plus que jamais l’armée sainte semblait loin d’escalader les murs de Jérusalem. La conquête de la France intimidait au lieu d’exciter les puissances européennes. Le roi de Prusse s’était retiré de la coalition. La guerre, qui devait être courte, se prolongeait ou n’amenait que des mécomptes et des revers. L’Angleterre avait bien obtenu des résultats dans le Nouveau-Monde et dans l’Inde; mais elle se sentait à regret engagée dans la lutte du continent européen; ses liens avec l’Autriche la retenaient seuls : elle aspirait à s’en affranchir sans les rompre, et à profiter de sa situation, qui lui permettait de négocier séparément, pour ménager la paix générale. L’esprit public n’avait jamais bien ardemment soutenu la guerre; l’état des finances et du commerce en faisait souhaiter la fin. Le gouvernement du directoire était de ceux avec lesquels on pouvait traiter; contre lui ne se soulevaient pas les sentimens passionnés que révoltait le régime de la terreur. Attentif à suivre le mouvement de