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et Windham fut secrétaire de la guerre; Burke fit élire son fils à sa place par le bourg de Malton, et l’on disait que lui-même devait être élevé à la pairie.

Cependant de cruelles épreuves lui étaient réservées, qui devaient condamner ses derniers jours à la. retraite et à la douleur. Il avait perdu beaucoup d’amis : Reynolds et Shackleton en 1792; Richard, son frère, en février 1794 , qui toute sa vie l’avait aimé avec dévouement. C’est lui ou son cousin qui fit, d’une adresse de Brissot à ses commettans, une traduction que Burke publia avec une préface vivement écrite contre les jacobins et les girondins. Il y poursuit sa guerre obstinée contre tous les partis révolutionnaires modérés. Après la perte de son frère, il lui restait son fils, sa consolation et son orgueil. Une triste réflexion se présente souvent à l’auteur ou au lecteur d’une biographie. Combien le sentiment ou l’événement qui a le plus fortement ébranlé le cœur d’un homme tient peu de place quelquefois dans les pages où l’on écrit sa vie! Un voyage curieux, une anecdote piquante, la critique d’une brochure, l’explication d’une démarche politique, exigent ou permettent souvent que l’écrivain insiste et s’étende, et la postérité ne regrette pas d’apprendre avec détail ce qui peut-être n’avait laissé qu’un indifférent souvenir à celui dont elle lit l’histoire, tandis que l’émotion cruelle, le déchirement de cœur, le malheur personnel qui a bouleversé son âme ou son existence se raconte en deux lignes, et n’arrache pas au lecteur une seconde de sensibilité ou d’attention. Le coup le plus terrible, que Burke éprouva fut la mort de son fils. Les dernières années de sa vie en furent tristement obscurcies. Et pourtant que nous importe aujourd’hui? Pourrions-nous sans affectation recueillir dans les lettres qui sont sous nos yeux quelques traits épars pour en composer un lugubre tableau d’intérieur, celui du désespoir d’un père arraché, par la mort inattendue de son fils, aux espérances et aux illusions que les progrès lents d’un mal cruel auraient dû dès longtemps dissiper? A peine pouvons-nous dire que le jeune Richard Burke, atteint mortellement, s’avançait vers le terme fatal sans que son père, pieusement trompé, s’en aperçût. Ce n’est que dans les derniers jours qu’il vit le danger. Il ne quitta plus son fils, qui, peu de momens avant d’expirer, lui disait : « Parlez-moi, mon père, parlez-moi de religion, parlez-moi de morale, parlez-moi de choses indifférentes, je prends plaisir à tout ce que vous me dites. »

Le désespoir de Burke dura autant que sa vie, mais son esprit ne s’éteignit point, et resta ouvert à toutes les inspirations qui l’animaient depuis cinq années. Il continua de suivre d’un œil triste et vigilant les convulsions de cette société européenne dont il avait prédit la crise et les périls. Il continua de s’occuper avec zèle des affaires