Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 1.djvu/461

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui voudront étudier l’histoire de ce temps-là devront lire Burke, et ils se convaincront qu’après lui les censeurs de la révolution n’ont rien inventé.

C’est défigurer un tel ouvrage que d’en donner la substance. Les vues de détail, les développemens, les mouvemens, les traits, n’en forment pas le moindre mérite : il faut le lire pour l’admirer et l’analyser pour le combattre; mais ce que nous en avons dit suffit pour distinguer l’auteur des autres adversaires de la France. Chez nous, les écrivains éminens de la contre-révolution ont réfuté le rationalisme par le rationalisme. Ils ont opposé idée à idée, le pouvoir à la liberté. Leurs théories logiquement déduites condamnent le gouvernement anglais comme les constitutions françaises, 1688 comme 1789, le protestantisme comme la philosophie. Ils ont fait la métaphysique de l’absolutisme. Burke eût étouffé sous le régime de M. de Bonald et du comte de Maistre. L’Angleterre est une île morte, écrivait jadis M. de Lamennais. M. de Fontanes et tous les publicistes de 1804 ou de 1810 parlaient avec autant de pitié et de dédain des institutions de nos voisins que des idées du XVIIIe siècle, et l’oligarchie britannique était alors anathématisée par tous les déserteurs de la cause de 89. Une des grandes erreurs de Burke a été de se figurer que parce qu’il haïssait les révolutionnaires, il s’entendait avec les contre-révolutionnaires, et que parce qu’il partageait leurs inimitiés, ceux-ci partageaient ses idées. L’ancien régime qu’ils regrettaient n’était pas le sien. La monarchie de ses rêves n’était pas celle de leurs vœux. Il est très facile et très commun en politique de signaler les vices d’un système ou d’un gouvernement, puis, sans autre examen, de donner gain de cause à ceux qui s’en portent les ennemis, et de se déclarer pour le système ou le gouvernement contraires; mais les questions ne sont pas si simples. La monarchie constitutionnelle a péri : elle avait des côtés faibles; il ne s’ensuit pas que la république soit possible, ou que la monarchie absolue soit désirable. La révolution est mauvaise, cela ne prouve pas que la contre-révolution soit bonne. Les victimes sont peu intéressantes; la tyrannie n’en est pas meilleure. Burke a toujours trop légèrement, trop aveuglément adopté pour juste et vrai l’opposé de ce qui échauffait sa bile. Il me rappelle ce critique romantique qui, trouvant des défauts dans Racine, en concluait que les tragédies de Pradon devaient être excellentes.

Un tel ouvrage ne pouvait paraître sans exciter une bruyante polémique. Les idées françaises avaient des partisans dans la littérature comme dans la politique; parmi ses amis, Burke trouvait des contradicteurs : le premier de tous fut Francis, qu’il paraît même avoir consulté avant de publier. Avant et après, Francis lui écrit des lettres encore amicales, toutes pleines d’objections. Ce sont plutôt des