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toujours regardé le procès de Hastings comme l’œuvre capitale qui couronnait sa vie.

On ne peut trop rendre justice à la sincérité de conviction, au zèle persévérant, au talent inépuisable qu’il déploya dans cette grande entreprise. Y porta-t-il en toute circonstance une exacte équité, une convenable modération, ou même cette mesure de conduite et cet art de langage nécessaires au succès ? On peut en douter. Ces dernières qualités n’étaient celles ni de son caractère ni de son talent. Ses passions étaient honnêtes, élevées; mais c’étaient des passions. Sa déclamation était véhémente, ornée des plus beaux traits; mais c’était de la déclamation. Il savait émouvoir encore plus que persuader; il emportait moins l’assentiment que l’admiration, et en reproduisant incessamment les mêmes effets, en tâchant même d’enchérir sur les effets déjà produits, il fatiguait au lieu de toucher, il révoltait parfois ceux qu’il voulait gagner. Il surmenait ses auditeurs, si l’on me passe cette expression familière, qui me semble rendre ma pensée. Ge défaut, qui finit par lui rendre presque intenable la chambre des communes, l’entraîna devant la cour de Westminster à quelques excès de pensée ou de langage qui compromirent au moins sa cause. Une fois même, en 1789, une pétition de Hastings dénonça une expression violente qui lui était échappée, en qualifiant d’assassinat (peut-être avec justice) la mort du bramin Nuncomar, condamné pour faux sans règle ni merci, et l’on profita de l’occasion pour le faire censurer par la chambre. On espérait, par là, arrêter l’accusation en décriant ou en dégoûtant les accusateurs. Burke subit la censure avec une patience qu’il n’aurait pas eue en toute autre conjoncture. Il voulait atteindre son but et ne se montra ni moins animé ni moins résolu. Cependant, quoique Pitt ait déclaré en pleine chambre que M. Burke avait « conduit l’accusation avec beaucoup de dignité, de loyauté et de candeur, » il est certain que cette affaire, non-seulement ne lui gagna pas d’amis, mais lui en fit perdre, et qu’elle servit à donner plus de relief à ses défauts, épiés alors soigneusement par une double malignité. Il avait commencé le procès avec la défaveur des partisans du gouvernement; dans le cours de la poursuite, il n’acquit pas leur amitié, et il rejeta celle de l’opposition, conservant tous ses ennemis et devenant impopulaire sans être agréable au pouvoir. Chaque parti se souvint de ses offenses plus que de ses services. Pour nous, en accordant tout ce qu’on voudra à cette prétendue et glaciale sagesse que scandalise toute passion, nous ne pouvons nous résoudre à blâmer Burke dans l’affaire de Hastings. Nous croyons que, sans l’exagération même des qualités ou des défauts qu’on lui reproche, l’accusation n’aurait été ni intentée ni soutenue; et, fût-elle mal fondée dans quelques parties, outrée dans quelques qualifications, eût-elle