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prononça un discours regardé par de bons juges, et notamment par lord Brougham, comme le plus beau qu’il ait fait. Dans cette composition, dont le seul défaut est d’être trop achevée, une immense et difficile affaire est admirablement expliquée. Burke excelle dans l’art des expositions claires, complètes, et cependant attachantes, animées. Celle-ci est semée de narrations dignes de l’histoire. Dans les cours de littérature, on cite comme des modèles la description du Carnate et le récit pathétique de l’invasion de cette contrée ravagée par Hyder-Ali. TNous avons vu que les traitans de toutes sortes, patronés par la compagnie des Indes, passaient pour les auxiliaires occultes de l’avènement de Pitt au ministère ; on pouvait le soupçonner envers eux de gratitude et d’indulgence. L’attitude de Dundas était suspecte. Un certain Paul Benfield était le chef ou principal représentant des créanciers vrais ou fictifs du nabab d’Arcot. Il avait, ainsi que ses pareils, brigué et même obtenu des sièges au parlement. Par les mille ressources dont disposait leur activité, ces gens avaient joué un rôle dans la dernière dissolution et contribué à en rendre le résultat favorable aux ministres. Il était donc facile de trouver un lien entre les intrigues de l’Europe et celles de l’Asie, entre les cruautés et les brigandages commis de Madras à Tanjore, la vénalité des subalternes, la connivence de la compagnie, le trafic électoral et la corruption ministérielle. Burke se plut, avec un art cruel, à river aux anneaux de la même chaîne Pitt et Paul Benfield. — Les associés de Paul Benfield, obscurs et mercenaires complices des dévastations d’un barbare, voilà, disait-il, au loin les législateurs de l’Inde, et ici la nouvelle et pure aristocratie créée par M. Pitt pour sauver la couronne et la constitution. Paul Benfield, voilà le grand réformateur parlementaire de M. Pitt. — Il y a là des pages terribles d’esprit, de sarcasme et d’injure. La motion de Fox fut rejetée; mais, malgré ses apparences de froideur et de dédain, Pitt n’était pas insensible à ces attaques. Ses prétentions de pureté et de rigorisme lui rendaient de certains reproches insupportables, et l’on pouvait prévoir qu’en les renouvelant avec art et avec insistance, on le forcerait quelque jour à céder. Il y avait en toutes choses un point où il refusait de se confondre avec ceux qu’il employait, et il les brisait sans pitié plutôt que de compromettre la dignité de sa personne dans les pratiques mêmes de son ministère. Comme un nuage qui grossissait à l’horizon, il s’élevait de tous ces débats une notoriété menaçante contre Warren Hastings, qui avait tout à la fois mérité l’indignation et la reconnaissance de son pays, car ses services étaient aussi grands que ses fautes. La compagnie, plus satisfaite de ses succès que convaincue de son innocence, s’occupait peu de le défendre, espérant sans doute que l’opinion ferait comme elle, et ne rechercherait pas bien sévèrement de quel