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dix mille dans les îles environnantes. La pêche est la grande ressource de cette population. Les eaux de la baie sont si poissonneuses, le riz et les fruits de toute espèce sont à si bas prix, que chaque habitant subvient sans peine à sa subsistance. On rencontrerait même une certaine aisance parmi les pêcheurs d’holothuries et de tortues, si la passion du jeu et celle de l’opium ne venaient épuiser en quelques heures les économies amassées pendant un long voyage. Macassar présente donc ce qu’on chercherait vainement sous un autre ciel que celui des tropiques, le singulier spectacle d’une population que la paresse, le jeu et le sensualisme le plus grossier n’ont point jetée dans l’abjection et dans la misère. Il y a plus, si vous parcouriez l’archipel indien, vous ne trouveriez nulle part chez les nobles une apparence aussi générale de bien-être; chez le peuple, des haillons portés avec plus de fierté. Il n’y a point de pauvres ni de mendians à Macassar. Qui pourrait tendre la main, quand il suffit de lever le bras pour recevoir l’aumône de la nature? Il y a des lépreux : le gouvernement les recueille, et, grâce à sa bienfaisance, ces malheureux n’encombrent jamais la voie publique. On éprouve donc un plaisir sans mélange à parcourir les rues ou les environs du chef-lieu méridional de l’île Célèbes. Le bon ordre n’y a pas le cachet de la servitude; la liberté n’y a pas engendré la famine. L’impôt des loyers et la ferme du bétel sont les plus lourdes charges qui pèsent sur la population indigène. Ces deux contributions, calquées sur celles que les Anglais ont imposées aux habitans de Singapore, doivent tenir lieu à l’état des droits de douane qu’il a sacrifiés. Il eût été plus généreux et plus politique de renoncer à de pareils dédommagemens. Il faut dans toute l’étendue de l’archipel indien, mais dans l’île Célèbes surtout où les dominations sont mélangées, que le sort des populations qui vivent sous la loi hollandaise soit un objet d’envie pour celles qui subissent encore le joug capricieux de leurs chefs.

Les Hollandais ne possèdent en toute souveraineté, dans la partie méridionale de Célèbes, que quelques districts peu considérables. Le reste de l’île appartient à des princes vassaux ou à des rois alliés. Plus libre ici, plus dégagé de toute influence extérieure qu’à Sumatra ou à Bornéo, le gouvernement des Pays-Bas n’accepte point cet état de choses comme définitif. Les peuplades idolâtres qui vivent sous le régime de la tribu, il espère les convertir et les amener à la civilisation par l’Evangile. Les populations musulmanes, il se propose de les soumettre ou tout au moins de resserrer par de nouveaux traités les liens qui les rattachent à la Hollande. Les sultans de Goa et de Boni, les deux principaux souverains de l’île, n’ont pas, comme le sultan d’Achem, de protecteurs étrangers. Leur première imprudence sera sans doute le signal d’une transformation politique que