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de cette fontaine de Jouvence. Quelques ablutions d’une eau glacée qu’on puisait à l’aide d’un gobelet de fer-blanc dans une vaste cuve rétablissaient la circulation du sang et raffermissaient la fibre. On s’habillait alors à la hâte, car les voitures étaient déjà prêtes. Un fringant attelage de quatre chevaux isabelles emportait le gouverneur vers la campagne. Debout derrière la voiture, le chef des gardes déployait le payong, ce parasol doré qui annonce aux populations le représentant du touan-besar (le grand monsieur)[1]. La soirée appartenait tout entière au plaisir. Le bal succédait au banquet, et jamais plus de gaieté, plus de grâce, plus de fraîcheur n’avaient défié les feux énervans des tropiques.

Si Batavia n’existait point, Macassar serait le seul endroit de la Malaisie où je pourrais me résigner à vivre; mais Macassar aurait-il à mes yeux les mêmes attraits, si je n’y retrouvais plus le cercle aimable au milieu duquel nous avons passé les plus heureux momens de notre campagne? Sur ce sol mouvant des colonies, la société européenne se renouvelle sans cesse. M. Schaap, l’assistant-résident, un des hommes les plus distingués dont je doive la connaissance à mon trop rapide passage à travers les Indes néerlandaises, M. Schaap vit aujourd’hui au milieu des Chinois de Banca. J’ai perdu la trace des officiers de l’Amboine et du Hussard, du capitaine Dibbetz, qui, envoyé à Macassar afin d’y rétablir une santé altérée par de longues fatigues, oubliait ses souffrances pour nous entourer des soins les plus délicats ; du capitaine Wipff, qui n’avait été notre prisonnier à la suite de l’expédition d’Anvers, que pour apprendre à mieux aimer la France. Il est peu de pays qui aient eu plus à se plaindre des oscillations de notre politique que la Hollande, et je ne crois pas qu’on en puisse trouver dans l’Europe entière qui soit attiré vers nous par une plus sérieuse sympathie. Ce que je ne pouvais voir surtout sans une secrète émotion, sans un plaisir presque patriotique, c’étaient les représentans de cette belle armée qui, depuis 1816, a pour ainsi dire conquis une seconde fois les Indes néerlandaises. Chez eux, je retrouvais l’esprit chevaleresque, le dévouement au drapeau, la piété militaire, qui font l’honneur de notre armée d’Afrique. Si ce n’étaient point là des officiers français, c’étaient assurément les émules qui pouvaient le mieux nous les rappeler. Le commandant militaire de Macassar, le major Kroll, avait longtemps servi à Sumatra sous les ordres du général Michiels. Ce fut lui qui le premier nous révéla l’existence de cette Algérie des Indes où tant d’héroïsme s’est dépensé à l’insu de l’Europe, théâtre obscur arrosé de flots de sang, et sur lequel dix années de combats

  1. Tel est le titre du gouverneur-général des Indes néerlandaises.