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REVUE DES DEUX MONDES.

 
Grattent le sol, cherchant quelque graine de blé ;
Tout est en paix, le chien même dort sous un arbre,
Sur la terre étendu comme un griffon de marbre.
Au seuil de la maison, assise sur un banc,
Entre ses doigts légers tournant son fuseau blanc,
Le pied sur l’escabeau, la ménagère file,
Surveillant du regard cette scène tranquille.
Seul, perché sur un toit, un poulet étourdi
Croit encor au matin et chante en plein midi.

Par-delà l’horizon heureux de cette ferme,
Un orage pourtant déjà se montre en germe.
Il est encore loin, ce n’est rien qu’un point noir ;
En montant sur ce mur, on peut l’apercevoir.
Le nuage s’avance au souffle de la bise,
Il porte sur son flanc comme une tache grise…
C’est la grêle ! — Elle est là, sur le pays voisin,
Écrasant sans pitié le seigle et le raisin.

Rien ne trouble pourtant votre repos robuste,
Laboureurs endormis dans le sommeil du juste !
Vous dormez, confians en la bonté de Dieu,
Heureux d’être abrités sous ce pan de ciel bleu.
On vous a vus dormir de ce sommeil tranquille
Quand sonnait le tocsin de la guerre civile,
Alors qu’on entendait, de vos hameaux fleuris,
Le tonnerre lointain du canon dans Paris.
Laboureurs obstinés, semeurs que rien n’effraie, Cicatrisant toujours quelque nouvelle plaie,
Réparant les dégâts faits par l’homme ou le ciel,
Vous travaillez au blé comme l’abeille au miel.
Que le tonnerre gronde au ciel ou dans les rues,
Chaque jour vous revoit, penchés sur vos charrues, Confier aux sillons le pain des nations,
Indifférens au bruit des révolutions !


C. Reynaud.

V. de Mars.