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REVUE DES DEUX MONDES.

 
Où rien ne rit à l’œil, si ce n’est le ciel bleu,
Où tout raconte encor la colère de Dieu,
Où tout parle de mort, de sang et de supplices,
Je sens saigner en moi d’anciennes cicatrices.
Tous mes amis perdus, tous mes amours brisés.
Mes rêves, mes espoirs au hasard dispersés,
Cortège triste et long de visions funèbres.
Pour passer devant moi, s’échappent des ténèbres.
Et quand ces souvenirs me viennent accabler,
Ô foi, ce n’est pas toi qui peux me consoler !
Je cherchais une amie, et je rencontre un Juge :
C’est au sein maternel que je trouve un refuge.
Votre indulgence à vous ne se lasse jamais ;
Mères, vous n’avez pas d’enfer pour les mauvais.
Et rien ne tarira ces sources éternelles :
L’amour dans votre cœur, le fait dans vos mamelles !

Aussi c’est à Bethlem qu’est ma dévotion.
Je vais m’y reposer de la triste Sion.
Ici, c’est le tombeau, la ville désolée ;
Une plaine déserte, une aride vallée ;
Un rocher que le Christ a marqué de son sang ;
Une église, un tombeau d’où le mort est absent ; Quelques Juifs inquiets, dans une humble attitude,
Des bazars délaissés troublant la solitude :
Voilà Jérusalem pendant dix mois de l’an.
Que j’aime mieux Bethlem, le beau village blanc !
Il est caché là-bas, derrière les collines.
Avec ses pâtres bruns armés de javelines,
Ses tableaux ciselés, ses naïfs ouvriers.
Ses champs de seigle et d’orge entourés d’oliviers.
Ses femmes dont la robe à longue draperie
Ressemble au vêtement de la vierge Marie.
Et déjà mon cheval en connaît le chemin.
Là je vois mieux Jésus sous son visage humain :
C’est l’enfant pauvre et nu ; c’est la touchante image
Du pasteur à genoux à côté du roi mage ;
C’est la Vierge surtout, veillant sur ce berceau
D’où va tantôt sortir tout un monde nouveau.
L’étoile du matin et la rose mystique,
Comme vous l’appelez, je crois, dans le cantique.
La mère des douleurs, — c’est son nom le plus doux,
Elle est là, souriante, et me parle de vous ;
Car, des sages leçons faites à mon enfance.
Il m’en est demeuré, mère, plus qu’on ne pense,
Le meilleur m’est resté de ce riche trésor.
Et tout n’est pas perdu si je vous aime encor !