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était rentré à Batavia après un voyage dans l’intérieur du pays. L’ordre et la tranquillité régnaient à Palembang ; seulement quelques escarmouches avaient eu lieu sur les frontières de Lematang-Oulou. Une expédition dirigée contre le chef indigène qui, depuis dix ou douze ans, n’avait pas payé la rente territoriale, avait été couronnée d’un plein succès.

Revenons à l’Europe. En Allemagne, l’attention des hommes politiques s’est portée presque exclusivement depuis quelques semaines sur les nouveaux rapports diplomatiques à nouer avec la France. L’ouverture des chambres prussiennes, la question douanière elle-même non encore terminée, tous les intérêts purement germaniques s’étaient complètement effacés devant les pourparlers engagés à cette occasion. À vrai dire, le nombre était petit de ceux qui pensaient que cette conjoncture diplomatique pût amener des difficultés sérieuses, et plus petit encore celui des esprits malveillans qui eussent désiré qu’elle fût l’occasion d’un conflit en règle et d’une nouvelle coalition de l’Europe contre la France. Il s’est rencontré cependant quelques esprits de ce genre, et il suffira de les nommer pour que l’on cesse d’en être étonné : ce sont les opiniâtres adversaires des sociétés modernes, non ceux qui la hache à la main voudraient les saper dans leurs fondemens pour les rebâtir d’après les conceptions d’un prétendu progrès, mais ceux qui, au nom d’un passé fallacieusement dépeint sous un jour attrayant, voudraient les ramener sous le joug inflexible et immobile de la féodalité. En Prusse notamment, ce parti, qui a ses théoriciens et qui exerce encore une certaine influence sur la marche des affaires, n’a pas vu, sans manifester son mauvais vouloir, le nouvel ordre de choses qui se constituait de ce côté-ci du Rhin ; et si la reconnaissance de l’empire français n’a point été aussi prompte que l’avait été en 1851 celle du coup d’état du 2 décembre, si la Prusse a cru devoir se concerter avec l’Autriche et avec la Russie avant de donner à cet égard une adhésion qui ne pouvait pas être refusée, c’est beaucoup moins l’œuvre du cabinet que la conséquence d’un succès obtenu dans les régions extra-constitutionnelles par la Gazette de la Croix. Il est du moins hors de doute que l’homme éminent à qui la Prusse doit d’avoir évité, en 1848, la guerre civile et, en 1830, la guerre étrangère, M. de Manteuffel en un mot, opinait fortement pour une reconnaissance sans conditions et immédiate.

En Allemagne et surtout en Prusse, le parti féodal, quoique représenté par un certain nombre d’écrivains et d’orateurs actifs et élevés, est numériquement trop peu considérable et trop suspect à la nation pour réussir à fonder un gouvernement solide et durable. Il n’ignore pas quelle serait sa faiblesse le jour où il arriverait au pouvoir ; il sait qu’il a plus d’intérêt à voir appliquer quelques-unes de ses idées par un cabinet pris hors de ses rangs qu’à gouverner lui-même. Aussi essaie-t-il moins de renverser le cabinet actuel que de lui imposer de temps à autre, en dehors des voies constitutionnelles, quelques-unes de ses vues. Les taquineries étroites et imprudentes qu’il aurait voulu faire prévaloir dans les rapports de la Prusse avec la France se conçoivent toutefois d’autant moins, que, s’il était au pouvoir, il serait dans l’impossibilité absolue de proposer raisonnablement une politique différente de celle de M. de Manteuffel. De là les regrets qu’expriment dès aujourd’hui les esprits prévoyans en présence du rôle fâcheux que ce parti s’est efforcé de