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REVUE DES DEUX MONDES.

« Ne me dis pas dans tes versets mélancoliques : la vie est un vain rêve, car pour l’âme le sommeil, c’est la mort, et les choses ne sont pas ce qu’elles semblent.

« La vie est réelle, la vie est sérieuse ; le tombeau n’est pas le but. Tu es poussière, tu retourneras en poussière, cela ne fut point dit de l’âme.

« Ce n’est pas la jouissance, ce n’est pas la tristesse qui est notre fin, notre destinée, notre voie ; c’est agir, afin que chaque lendemain nous trouve plus avant qu’aujourd’hui. Sur le vaste champ de bataille du monde, dans le bivouac de la vie, ne sois pas comme le troupeau muet que le berger chasse devant lui, sois un héros dans le combat.

« Ne te confie pas à l’avenir, quels que soient ses charmes. Que le passé enterre ses morts. Agis, agis dans le présent qui vit, ton cœur dans ta poitrine, et Dieu sur ta tête.

« Les vies des grands hommes nous rappellent toutes que nous pouvons faire notre vie sublime, et en partant laisser derrière nous l’empreinte de nos pas sur les sables du temps.

« Peut-être un autre, naviguant sur la mer solennelle de la vie, un frère égaré et naufragé reprendra cœur en les voyant.

« Debout donc et agissons, le cœur prêt à tout événement, achevant et recommençant toujours ; sachons travailler et attendre. »


Toute l’ardeur de l’activité américaine me semble concentrée dans cette énergique poésie ; mais le plus souvent M. Longfellow se complaît dans une poésie entièrement désintéressée du présent, amoureuse de l’idéal, le poursuivant partout, le cherchant à la manière de Goethe ou de Tieck. La plume spirituelle de M. Chastes a fait connaître le charmant poème d’Evangeline[1], inspiré par Hermann et Dorothée, et qui nous intéresse particulièrement, car il célèbre les malheurs de quelques-uns de ces habitans d’Acadie que se disputaient, se prenaient et se reprenaient tour à tour l’Angleterre et la France, qui, Français d’origine, de mœurs et de langage, furent un jour arrachés violemment et soudainement de leur village par un ordre du gouvernement britannique, séparés les uns des autres et dispersés comme une tribu d’Israël. M. Longfellow vient de publier, sous le titre de Légende dorée (Golden Legend), un poème dramatique qui, certes, ne se rattache en rien à l’Amérique, à la démocratie, au présent, mais qui, du milieu de tout cela, transporte le lecteur en plein moyen âge. Rien ne prouve mieux à quel point les progrès naturels de la civilisation et les communications toujours plus faciles et plus fréquentes des États-Unis avec l’Europe tendent à les rapprocher d’elle, que de voir un poète favori du public américain prendre pour sujet d’une œuvre applaudie une légende du moyen âge, de cette époque des sociétés modernes qui est si complètement étrangère aux souvenirs de la société américaine.

  1. Voyez, dans cette Revue, la livraison du 1er  avril 1849.