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plaines par plaines, volcans par volcans et même rochers par rochers, nous dévoilera de curieuses lois de formations de terrains sur ce vaste globe désert où rien ne change, rien ne végète, où il n’y a ni pluies, ni vents, ni mers, ni rivières, encore moins aucune trace ou empreinte des travaux ou de l’existence des êtres vivans, tandis que sur Mars, qui est quatre cents fois plus éloigné, et même sur Jupiter, bien plus éloigné encore, nous apercevons les effets de plusieurs des météores qui se développent sur une si grande échelle dans notre atmosphère. L’atmosphère elle-même semble totalement manquer à la lune. Lord Rosse nous promet une étude complète de la géologie de notre satellite, qui a déjà été l’objet de plusieurs observations de M. William Bond, de l’observatoire de Cambridge, près Boston, pourvu, comme nous l’avons dit, d’une lunette égale à celles des observatoires de Paris et de Saint-Pétersbourg.

Mais, dira-t-on, voilà de la science d’observatoire qu’il faut acheter au prix de la construction d’instrumens immenses, difficiles à se procurer et encore plus difficiles à manier et à utiliser dans le petit nombre d’heures où le ciel, parfaitement limpide et serein, permet de pousser les instrumens à toute la puissance dont ils sont susceptibles ! En défalquant les nuits où la clarté de la lune gêne les observations délicates autant que le jour gêne les observations ordinaires des étoiles, William Herschel, que l’on peut regarder comme l’incarnation du génie observateur, ne comptait pas en Angleterre plus de cent heures par an pour les observations parfaites ; nous n’en avons pas le double à Paris. Transporter les grands instrumens astronomiques au sommet des Alpes, des Pyrénées, des chaînes de l’Himalaya dans l’Inde ou des Cordillères d’Amérique, c’est ce qui se fera, mais qui est encore moins accessible au public que la construction des observatoires. N’y a-t-il donc rien pour l’astronomie bourgeoise, pour ainsi dire, pour l’astronomie populaire, peu ambitieuse, qui voudrait vérifier seulement les principaux phénomènes célestes, sauf à croire sur parole les observateurs que leur position professionnelle ou l’amour de la gloire porte à tenter ce qu’il y a de plus difficile dans cette difficile science d’observation ? Nous nous sommes occupé, il y a plus de vingt ans, de cette question d’un mérite modeste en apparence, mais en réalité recommandable par le grand nombre de personnes auxquelles elle ouvre la contemplation des plus beaux phénomènes célestes. Sous notre direction, M. Soleil, l’excellent opticien, après de persévérantes tentatives, a construit une lunette ou télescope astronomique et terrestre tout à fait portatif et de la même force à peu près que les instrumens avec lesquels, sur les places publiques de Paris, le public est admis, pour quelques centimes, à l’observation des objets les plus curieux que chaque saison nous présente dans le ciel.

Je suppose donc un instrument de cette force, qui est à peu près celle des lunettes employées dans la télégraphie non électrique ou par les capitaines de marine sur les vaisseaux bien approvisionnés ; je le suppose, dis-je, en 1853, entre les mains d’un amateur tout à fait inexpérimenté. Il mettra d’abord le tuyau des oculaires terrestres, et il se donnera le plaisir très vulgaire, mais toujours nouveau, de lire un livre à une distance d’une centaine de mètres ou l’heure sur un cadran beaucoup plus éloigné, de distinguer les arbres, les escarpemens des montagnes ou les vaisseaux en mer, de jour et de nuit, avec une merveilleuse facilité ; il discernera les détails microsco-