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n’est-il pas une protestation, et la protestation un accroissement du droit?

« Je ne suis pas encore, ajouta-t-il, pleinement assuré des progrès continus de la France dans la noble carrière où elle est entrée. Ce n’est pas l’étranger que je redoute pour elle : sans lui, elle peut pécher par excès ou par inconstance; mais qui voudrait, n’importe l’avenir, que la France n’eût pas donné un si bel exemple? Qui voudrait qu’elle n’eût pas travaillé à cette œuvre glorieuse du gouvernement constitutionnel, de l’impôt librement voté, de la loi librement faite, du droit individuel garanti, de l’arbitraire aboli, du droit public fondé sur la liberté de chacun et la puissance de tous, dans les limites de la loi? »

En achevant ces mots, le général prit congé de moi, pour aller à la chambre, me laissant sous une impression bien souvent présente depuis à mon souvenir, mais qu’aucune parole de moi ne peut assez rendre. Peu de jours après, à l’occasion des comptes de la guerre d’Espagne, et d’une de ces liquidations financières, conclusion finale de la gloire dans nos temps modernes, il prononçait son dernier et en même temps son meilleur, son plus simple, son plus austère discours. Quelques mois encore, et il n’était plus : la tribune avait consumé ce noble survivant de la guerre; à cinquante ans à peine, le général Foy, dans toute la vigueur de son talent, dans le progrès de sa raison politique, au milieu d’une estime justement croissante et d’une admiration salutaire à l’esprit public, était enlevé, je ne dirai plus à son parti, mais à la France, qu’il eût servie dans toutes les épreuves avec non moins de modération et d’énergie honnête que Casimir Périer; et il laissait seulement, dans le spectacle inouï jusqu’alors de ses obsèques vraiment nationales, une grande leçon trop tôt perdue pour notre oublieuse patrie.


VILLEMAIN,

Membre de l’Académie Française.