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«Moi, si... Mais je ne veux pas commencer par une parole de fâcheux augure. Lui, au contraire, bien à l’aise, n’expose rien, en m’attaquant. Mon second désavantage, c’est que par nature il appartient à tous les hommes d’écouter volontiers sur autrui le blâme et l’invective, et d’être fatigués de ceux qui se louent eux-mêmes.

« De ces choses donc, celle qui plaît et attire lui a été donnée, et moi, pour dire le mot, celle qui est importune à tous m’est laissée en partage. Et si, par précaution contre ce danger, je ne raconte pas les choses que par moi-même j’ai faites, je paraîtrai n’avoir ni de quoi repousser les accusations qu’on m’intente, ni de quoi justifier mes titres à vos honneurs; et cependant, si je touche à ce que j’ai fait, à mes actes politiques, je serai contraint à parler souvent de moi.

« Je tâcherai donc de le faire le plus modérément qu’il est possible, et cette nécessité, que la situation même m’impose, celui-là seul en est justement responsable, qui a voulu établir un tel combat; mais vous, ô juges, vous reconnaîtrez, je crois, que ce combat m’est commun à moi autant qu’à Ctésiphon, et que ce n’est pas de ma part qu’il mérite moins d’efforts. Se voir dépouillé de tout est en effet une intolérable souffrance, surtout si elle nous arrive par la main d’un ennemi, surtout encore si c’est votre bienveillance et votre affection qu’elle nous enlève, et d’autant plus que les avoir acquises est le plus grand des biens. La lutte étant donc engagée sur cela même, je vous adjure et vous supplie tous également de m’écouter avec équité, comme les lois l’ordonnent, ces lois que Solon, d’abord qu’il les fonda dans un esprit tout affectueux pour vous et tout populaire, voulut rendre souveraines, non pas seulement par l’inscription publique, mais par le serment que vous leur prêtez tous avant de juger. Il ne se défiait pas, en cela, de vous, je le crois; mais il voyait que, contre les griefs et les calomnies dont s’arme l’accusateur par l’avantage de parler le premier, il n’est pas possible à l’accusé de prévaloir, à moins que chacun de vous qui jugez, gardant fidèle respect aux dieux, n’accueille avec même bienveillance les choses justes dans la bouche de celui qui parle le dernier, et, donnant à l’un et à l’autre audience également favorable, ne forme ainsi son jugement sur le débat entier.

« Ayant donc aujourd’hui, comme il me semble, à donner le compte de toute ma vie, et aussi des choses que j’ai faites en commun avec l’état, je veux, ainsi qu’au commencement, invoquer de rechef tous les dieux, et en face de vous, je les supplie d’abord que tout le bon vouloir dont je suis animé sans cesse pour la ville et pour vous tous, je le retrouve en vous pour moi, au combat de ce jour; puis, ce qui doit profiter à votre bonne renommée, à la religion de chacun de vous, que les dieux vous inspirent de le discerner dans cette accusation. »