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précipités, avec un feu d’expression dans les regards inoubliable comme ses paroles.

«Mais, continua-t-il, comme il arrive toujours après de longues guerres, comme il est arrivé en Europe après les conquêtes et les revers de Louis XIV, nous sommes, je le crois, destinés à une longue paix, troublée tout au plus par de courts incidens, par des expéditions de police monarchique, telles que le principe d’intervention en autorise aujourd’hui. Avant que les masses de l’Océan se déplacent de nouveau, avant qu’on revoie au grand complet des états-majors de souverains en campagne et des conscriptions de peuples, il faut bien des années de repos, et qu’une ou deux générations soient mortes ailleurs qu’au bivouac.

«Malgré les fanfares parlementaires de Canning, je crois donc que, de notre vivant, nous n’assisterons pas de rechef à la grande guerre, et tant mieux pour la liberté! mais cette liberté, il faudrait qu’elle se hâtât de former en France des âmes fortes et fidèles, des esprits animés d’un sentiment sérieux du droit et du devoir légal. Des bras, des cœurs de soldat, il n’en manquera jamais! cette terre de France les produit dans chaque sillon. Des esprits patriotes autant qu’éclairés, une succession d’hommes publics poursuivant la même voie, nourris dans les mêmes doctrines, les défendant, les honorant, et ne les exagérant pas, cela est plus difficile! Que de fois nous avons changé (on ne peut presque y penser, sans que la tête ne tourne) ! De la convention au directoire, du directoire au consulat, du consulat à l’empire, de l’empire aux cent jours, et des cent jours aux phases diverses de la restauration, que de principes proclamés, rejetés, repris! que de masques plusieurs fois empruntés! Il est temps que la lumière continue de la vie publique nous donne, par conviction ou du moins par pudeur, des caractères plus fixes, des hommes voués à une cause, à une vérité. Je suis frappé de ce que, sous ce rapport, malgré les misères du temps et les misères de l’homme en général, le régime constitutionnel a déjà fait pour nous, des corruptions publiques qu’il a réprimées ou déshonorées, de la clarté qu’il a portée dans les finances, de l’élan généreux qu’il communique aux esprits, de l’élévation qu’il rend aux lettres, et je reviens à mon dire : qu’à l’enseignement des chambres et du débat public se joigne une forte éducation de la jeunesse, et nous aurons une grande époque de fondation et de durée! Je mets en premier rang, pour cela, ces études approfondies de lettres et de sciences dont l’empereur faisait ses draperies de couronnement, et que je demande pour étais de notre édifice légal.

« Ce n’est pas l’élégante parole de Regnault qui nous convient; ce n’est pas non plus l’avocasserie bruyante de Bedoch ou de Dumolard; c’est la vraie parole politique, une parole grave, nourrie de la