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je veux les mêmes choses autrement et plus grandement encore pour la France.

« Ce n’est pas à leur mesure qu’il faut régler nos discours, pas plus que nous ne marchons de leur pas ; je n’aime ni qu’on les cite sans cesse, ni qu’on les imite trop. Nous ne datons pas du bill des droits, mais de 1789, et des grands intérim nationaux qu’avait remplis la royauté sous Henri IV, sous Richelieu, sous Louis XIV. La France, au lieu du gouvernement par vieux précédens parlementaires et par influences aristocratiques, doit avoir une tribune éclatante, agissant directement sur l’opinion du pays, et une administration tirant toute sa force et son meilleur titre de cette tribune. Avec cela, de très grandes choses seraient encore possibles, même pour la vieille dynastie des Bourbons, même avec quelques émigrés dans le ministère, pourvu qu’ils soient éloquens comme de Serre, et loyaux et honnêtes comme ce bon M. de Corday... »

Et le général, s’animant, allait tomber tout à fait dans la politique, et bien loin de la distraction qu’il avait cherchée dans la visite dont il m’honorait; mais, s’arrêtant tout à coup, avec un demi-sourire : « Je disais donc, reprit-il, que votre littérature anglaise, vos orateurs anglais, leurs énormes discours, leurs démonstrations sans fin ne sont pas à notre usage. En France, on ne sait pas s’ennuyer, bien que cela arrive souvent. Il faut une parole plus agile, plus prompte à l’assaut, plus vive à la riposte, comme la course de nos vélites, qui emportaient une redoute avant que Wellington n’eût, en arrière, déployé toute sa ligne. Le modèle que je souhaite à nos orateurs, l’inspiration efficace, après l’étude profonde des choses s’entend, c’est l’éloquence antique; c’est pour cela que j’aime les fortes études des lycées de l’empire, bien que le maître ne songeât guère à ce résultat en les fondant; c’est ce que j’approuve encore dans la jeunesse actuelle, et ce qui me fait lire avec une extrême satisfaction les écrits de nos jeunes publicistes, de nos jeunes historiens, de votre ami Thierry, éloquent avec des lambeaux de chroniques barbares, et qui a pour moi découvert le moyen âge, comme Colomb l’Amérique, de mon ami de Barante, si touchant et si neuf dans ses Mémoires de Mme de La Rochejacquelein, de Philippe de Ségur, vraiment admirable et d’un intérêt qui dévore dans son récit de Moscou, enfin de deux jeunes gens de notre bord, qui ont grand succès et grand avenir, je crois, Thiers et Mignet, avec leurs Histoires de la Révolution tant soit peu polémiques, selon la loi du temps, mais singulièrement intelligentes et instructives, ou par l’analyse habile qui concentre les choses, ou par la narration facile et complète qui les déploie.

« J’apprécie surtout à ce titre les solides et nerveux écrits de Guizot. Voyez comme l’antiquité lui sert, même pour la polémique du