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les fatalités de l’esprit de conquête aient jamais attirés sur un peuple, et e le était parvenue à un point élevé de bien-être et de liberté réunis.

Il ne faut donc pas s’étonner que le sentiment, le reflet, l’effervescence même de cette vie publique, si heureusement réalisée dans les grandes choses, pénétrât partout, se produisît sous toutes les formes et se mêlât presque aux études comme aux affaires. S’il restait encore quelque trace des rancunes militaires ou des réminiscences démagogiques qui, par voie d’affiliations ou même de complots, avaient paru menacer d’abord l’heureuse forme de gouvernement inaugurée pour la France par la charte de 1814, ces souvenirs et ces obstacles semblaient s’affaiblir chaque jour et se perdre dans le progrès d’un ordre légal affermi. Dégoûtée de l’esprit de trouble et d’impatience révolutionnaire qui s’était réveillé après 1815, la jeunesse n’était pas lasse. Dieu merci, de l’esprit d’émulation et de liberté que légitimait la constitution même de l’état.

En vue de ce noble avenir, tout ce qui dans cette jeunesse était distingué par le talent naturel, aidé par la fortune ou stimulé par la pauvreté, se livrait avec ardeur à de laborieuses études, et, mettant à cette ambition scolaire une sorte de patriotisme, se croyait destiné à vivre et à s’élever sous de libres institutions, dont ses efforts serviraient un jour à garantir et à marquer honorablement la durée. Cette pensée répandue dans l’élite de la jeunesse (et le mot d’élite ne s’appliquait pas alors par privilège à la profession des armes), cette pensée, dis-je, pouvait être encore exagérée ou mal comprise, et aboutir parfois à des démonstrations imprudentes; mais le caractère général, l’esprit dominant de la société nouvelle était de plus en plus analogue aux institutions espérées et méritées par la France.

On sentait surtout cette conviction utile et vraiment morale, que la liberté politique n’est pas seulement une force, un droit, une puissance du grand nombre, qu’elle est une science qu’il faut acquérir et perfectionner par l’étude, une vertu qu’il faut maintenir par le caractère, et au besoin par les sacrifices. Ainsi l’idée du devoir était entrée dans l’esprit de la jeunesse avec les idées de liberté constitutionnelle. L’amour de la patrie, inséparable de l’orgueil pour la patrie (car on n’aime que la patrie dont on s’honore), se fortifiait par la pensée du grand rôle que la France paisible et libre avait en Europe. On se disait que ce peuple guerrier, qui pendant quinze ans avait troublé ou dominé le monde de ses victoires et de sa dictature, et n’avait pu parler que par les sanglans bulletins et les décrets absolus de son chef, il était beau de l’entendre aujourd’hui reprenant la parole, pour faire assister tous les peuples à l’œuvre législative de fondation et de bien-être national qui s’accomplissait dans son sein. On savait que partout, à l’étranger, les yeux étaient fixés sur la France, les esprits