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chambre de commerce. Ce n’était pas là cependant un motif pour s’arrêter : Mulhouse n’a pas de Condition, et la redevance des fabricans est calculée sur la somme des salaires payés par eux. La souscription volontaire pourrait encore être basée sur le chiffre de la patente. La chambre de commerce de Saint-Etienne s’honorerait elle-même et rendrait un véritable service à la communauté stéphanoise en conduisant à bonne fin une question jusqu’ici trop stérilement débattue. Le moment est d’ailleurs favorable pour agir. Si les traditions de désordre ne sont pas complètement anéanties à Saint-Etienne, elles sont du moins amoindries et paralysées. Quoique fermentant encore sourdement dans quelques têtes, le levain de l’ancien esprit a perdu de sa force, et le terrain s’est raffermi. Les ouvriers, en voyant qu’on s’occupe activement de leur bien-être, comprendront plus vite qu’ils ont tout à gagner à ce que les questions industrielles restent des questions purement industrielles, dont il est absurde de croire la solution attachée à des révolutions dans le gouvernement du pays.

Lorsque l’on rassemble en un vaste cadre tous les traits de l’état intellectuel et moral du district industriel de la Loire durant ces dernières années, on s’aperçoit aisément qu’en fait de politique et de socialisme, les brandons de désordre venaient du dehors; l’irritation, bien que rapidement développée, était purement artificielle. Les idées qu’on émettait touchant les heures de travail et les sociétés d’assistance révélaient au contraire un vrai sentiment des intérêts de la population ouvrière. Sur ce terrain, la société peut non-seulement accepter la discussion, mais elle peut encore exercer une action appropriée à tous les besoins légitimes. Il suffit d’ouvrir les yeux pour s’en convaincre : loi sur les caisses de retraite, loi sur les sociétés de secours mutuels, loi sur l’apprentissage, loi sur la durée du travail, loi sur les avances aux ouvriers, loi sur les bureaux de placement, et d’autres encore, voilà de larges assises pour notre société industrielle, qui ressemblait trop, depuis la destruction de l’ancien régime, à un édifice sans fondemens. Les lois pourront encore, sans tomber dans les inconvéniens de la réglementation, en se bornant à faciliter la route devant les activités individuelles à mesure que la nécessité s’en produira, exercer au profit du travail une action tutélaire ; mais elles ne sauraient accomplir leur mission qu’en réduisant à l’impuissance ces passions aveugles, ces haines envenimées, qui seraient prêtes à sacrifier à l’attrait de satisfactions impossibles le maintien même de l’ordre social.


A. AUDIGANNE.