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veuves ou enfans des ouvriers décédés à la suite de blessures occasionnées par le travail, et en certains cas à leurs frères et sœurs. L’institution remplit ainsi quelques-unes des fonctions d’une caisse des retraites, mais elle n’y supplée pas complètement. Il serait fort utile d’instituer une caisse de ce genre en la rattachant à la caisse nationale des retraites. Depuis 1846, la compagnie de la Loire a consacré environ 1,200,000 fr. à ses établissemens de bienfaisance, si on compte le prix d’acquisition et les frais d’appropriation des maisons d’ouvriers[1].

Comment ces fondations, ces secours, ces services sont-ils appréciés par la population laborieuse qui en tire avantage? Quand on fouille le fond des âmes, quand on cherche à en faire sortir, dans l’abandon des conversations familières, la pensée intime, s’en échappe-t-il une expression de reconnaissance envers la compagnie? Non; on semble croire qu’il s’agit pour elle de payer une dette. Qu’au point de vue du devoir social, qu’au point de vue de la charité chrétienne il y eût là en effet une obligation sacrée, de pareils actes n’en restent pas moins volontaires devant la loi positive, et ce n’est pas à ceux qui en profitent de se considérer eux-mêmes comme des créanciers. Cette disposition des esprits est en partie l’œuvre des influences de diverses sortes qui ont tâché de répandre parmi les mineurs l’idée qu’ils sont la proie d’une réunion de capitalistes; mais elle tient surtout à la nature des rapports de la compagnie avec les masses. Il est plus facile à une grande association de se montrer bienfaisante à l’aide de dispositions générales que de mettre dans ses relations quotidiennes une bienveillance constante et appropriée à tous les cas particuliers. On est obligé de regarder les choses de haut et de s’arrêter seulement à l’ensemble des résultats obtenus. On est dès lors exposé à ne voir que des chiffres là où il y a des hommes, et à considérer des organes vivans comme les rouages d’un vaste mécanisme qui fonctionne pour produire. La compagnie de la Loire, on ne saurait trop l’en féliciter, a voulu amoindrir ces conséquences fâcheuse, en multipliant les institutions protectrices; mais la sympathie envers les souffrances individuelles peut seule conquérir réellement les cœurs. De plus, pour prévenir le gaspillage et assurer l’ordre dans les secours, on a dû adopter des règles sévères; on a dû s’efforcer aussi de réduire les dépenses, de les renfermer dans les strictes prévisions des statuts. Rien n’est mis en oubli pour alléger, par exemple, le fardeau des pensions allouées soit à des ouvriers frappés d’une incapacité absolue de

  1. Le seul entretien des maisons d’ouvriers a coûté, depuis 1846, en bloc, plus de 300,000 francs, et les secours de toute nature ont dépassé 500,000 francs. Les ouvriers ont eux-mêmes largement contribué au soulagement commun, les retenues sur les salaires s’étant élevées, durant le même espace de temps, à 400,000 francs environ.