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les gouvernemens. L’examen géologique de deux comtés de l’état de New-York a été exécuté aux frais d’un particulier. Ne vient-on pas de voir un simple négociant, M. Grinnel, équiper deux vaisseaux pour aller à la recherche du capitaine Franklin, perdu dans les glaces du pôle ? Le capitaine Franklin est Anglais, M. Grinnel est Américain ; le sentiment qui l’a inspiré est donc pur même de l’égoïsme de la patrie, il n’a obéi qu’à l’humanité en consacrant une partie de sa fortune à aller au secours d’un homme qui appartient à une nation et à une marine rivales.

Cambridge a une bonne bibliothèque, un laboratoire de chimie, d’après les perfectionnemens introduits par MM. Liebig à Giessen, et un cabinet d’histoire naturelle, où j’ai vu avec intérêt quelques-unes de ces empreintes si curieuses laissées par des animaux anté-diluviens sur le sable humide, qui garde aussi des traces de gouttes de pluie, vestiges durables de ce qui semble le plus fugitif. M. Hitchcock, professeur au collége d’Amherst, a attaché son nom à l’étude de ces pas fossiles, abondans surtout en Amérique, mais dont on a trouvé aussi quelques exemples en Écosse et en Allemagne. M. Hitchcock a cru, d’après ces indices si certains et si légers tout ensemble, pouvoir déterminer quarante-sept espèces d’animaux : douze quadrupèdes, douze reptiles, vingt-deux oiseaux, etc. ; mais il n’a pas, comme un de ses compatriotes, cru y reconnaître l’empreinte de chaussures de femme.

Nous sommes allés visiter le cimetière de Mont-Auburn, à une petite distance de Cambridge ; je profite de l’occasion pour interroger M. Agassiz sur la géologie de l’Amérique. Chose curieuse, le Nouveau-Monde est le plus ancien. Quand les diverses parties de l’Europe étaient encore envahies par la mer, du sein de laquelle émergeaient seulement quelques îles, déjà l’Amérique était un continent. Aussi, dit M. Agassiz, les animaux et les végétaux de cette partie du monde ressemblent moins aux êtres organisés existant en Europe, dans l’époque actuelle, qu’à ceux des époques antérieures à l’homme. L’Amérique du Nord est physiquement le pays de l’unité. Les formations géologiques y ont plus d’étendue et plus de constance ; les mêmes animaux, les mêmes plantes, y habitent de plus vastes espaces que dans l’ancien monde. Il y a des serpens à sonnettes depuis le Mexique jusque dans le Maine, le plus septentrional des états de l’Union ; les colibris, qui vivent sous les tropiques, remplissent durant l’été les jardins aux environs de Boston. D’autre part, les oiseaux du nord s’avancent vers le midi beaucoup plus loin que ceux d’Europe ne s’avancent en Afrique. De même, les races indigènes de l’Amérique septentrionale offrent, sur des points éloignés, d’étonnantes ressemblances. M. Agassiz ne croit point à l’origine asiatique