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d’être assommés. En quelques endroits, on a mis le feu à la maison de ces commissaires. Là où la commune consentait à payer sa part du traitement des instituteurs, chaque habitant voulait avoir un instituteur à sa porte. Certaines communes en ont demandé dix-sept, ce qui réduisait singulièrement les appointemens de chacun. Cette disposition des esprits s’est, grâce au ciel, beaucoup améliorée : des faits pareils ne se reproduiront plus ; mais pour qu’ils aient pu avoir lieu, il a fallu que, parmi les honnêtes cultivateurs du Canada, un certain nombre fût bien étranger à ce besoin d’instruction qui est si général aux États-Unis.

Quant à la conduite du gouvernement anglais, elle a commencé par être odieuse et perfide toutes les fois que ce gouvernement ne se croyait pas menacé. Peu de temps après la conquête, une proclamation royale enjoignit au gouverneur de convoquer des assemblées provinciales, comme dans les autres colonies anglaises de l’Amérique : les Canadiens étaient invités à se confier à la protection royale pour la jouissance et le bienfait des lois de notre royaume d’Angleterre. Les assemblées ne furent point convoquées, mais les lois anglaises furent brusquement introduites à la place de la coutume de Paris. À ce changement on gagnait l’établissement du jury ; on recevait un don moins précieux dans le chaos de lois que l’usage et la tradition peuvent rendre supportable en Angleterre, mais qui, au Canada, sans rapport avec les antécédens du pays, étaient un véritable fléau. Les Canadiens français réclamèrent contre ces lois, « infiniment sages et utiles, disaient-ils, pour la mère patrie, mais qui ne peuvent s’allier avec nos coutumes sans renverser nos fortunes et détruire entièrement nos possessions[1]. » Ceci se passait au moment où l’Angleterre commençait à craindre pour ses autres colonies, il ne fallait pas trop désaffectionner la population française, en grande majorité au Canada. On lui rendit donc, par l’acte de Québec, l’usage de l’ancienne coutume française, tandis que, pour rassurer les sujets anglais contre l’arbitraire et les lettres de cachet, on introduisit dans la législation l’habeas corpus et le jugement par jury dans certains cas déterminés.

C’est probablement à ces concessions prudentes que l’Angleterre dut la conservation du Canada lors de l’insurrection américaine. Il est certain qu’à cette époque une grande portion du peuple canadien sympathisait avec les États-Unis. Il y avait deux cents Canadiens dans l’armée du général américain Montgomery, qui vint, comme Wolfe et Montcalm, mourir sous les murs de Québec. Les seigneurs et le clergé s’opposèrent à ce mouvement et conservèrent le Canada à

  1. Pétition de divers habitans de la province de Québec, présentée à sa majesté en février 1774.