dix-sept milles à l’heure, ce qui est travailler avec la vitesse ordinaire des chemins de fer.
La plus intéressante de ces fabrications est celle des tapis à la machine ; on conçoit combien l’entrelacement des fils et la combinaison des couleurs avec les lignes du dessin offrent de difficultés à une pareille industrie. Il paraît que ces difficultés n’avaient pu être surmontées en Angleterre ; elles l’ont été complètement en Amérique. Il est amusant de voir les navettes, qui portent des fils de différentes couleurs, soulevées et lancées l’une après l’autre par un mécanisme que la vapeur met en mouvement, venir à leur tour et à leur rang créer comme par magie les fleurs et les ornemens du tapis ; ce qui ne l’est pas moins, c’est de voir les jeunes filles qui conduisent l’opération arrêter soudainement de leurs doigts délicats la force terrible ou lui rendre la liberté. On frémit quand ces petites mains s’avancent sur le tissu pendant l’instant très court où s’éloigne le fer qui, en revenant, si elles tardaient une demi-seconde à se retirer, les écraserait. Les ouvrières de Lowell ont plus encore que je m’y attendais un air de distinction et de fierté. Plusieurs de celles que j’ai vues debout ou assises auprès de leur métier me rappelaient la dignité calme des femmes romaines. Je ne reviendrai pas sur tout ce qu’on a si bien dit de l’excellente conduite et de l’excellente tenue de ces ouvrières, des maisons où elles vivent ensemble et où chacune est surveillée par le point d’honneur de toutes. Attaquées avec peu de chevalerie par des journaux, elles se sont défendues elles-mêmes dans leur revue, car les ouvrières de Lowell, qui se cotisent pour avoir des livres, pour se faire faire des cours, écrivent aussi. Elles ont publié plusieurs volumes d’un recueil littéraire intitulé : Offrandes de Lowell (Lowell’s Offerings). Je n’y ai pas trouvé de chefs-d’œuvre, mais j’y ai remarqué des sentimens simples et honnêtes exprimés en fort bon langage.
Cette organisation morale de Lowell est due aux grands fabricans, qui ont pour ainsi dire créé la ville. Je pense que la querelle de l’intérêt agricole et de l’intérêt manufacturier, qui est la querelle du sud et du nord, a contribué aux beaux résultats que nous voyons. Le parti qui combattait les manufactures, entre autres argumens, alléguait la démoralisation qui en Europe règne trop souvent dans les classes ouvrières des villes. Ceux qui ont établi les manufactures de Lowell sur un pied si respectable ont voulu répondre à ces objections par un frappant exemple.
En France, on se plaint que l’industrie enlève trop de bras à l’agriculture et accumule trop d’ouvriers dans les villes ; aux États-Unis, j’ai vu les hommes les plus éclairés craindre le contraire : l’attrait vers le défrichement est si vif, qu’il pourrait prévaloir à l’excès. Les