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Nous aimons la Canadienne
Pour ses beaux yeux doux.


La foule se porte brusquement vers un orateur qui surgit, le chanteur est abandonné, et je perds la suite de ce morceau de poésie nationale que je m’apprêtais à recueillir.

Dans les discours, il n’est question des deux côtés que d’alliance, d’union par des liens de fer : les États-Unis semblent déjà tenir le Canada ; mais comme on descend du bateau, j’aperçois un homme à figure anglaise qui cherche à se hisser sur un toit pour être entendu ; le toit est assez élevé, il faut le soutenir par les jambes ; enfin il s’accroche des pieds et des mains à cette tribune glissante, et de la position difficile qu’il a conquise il parle avec beaucoup d’énergie. Il commence par glorifier la race anglo-saxonne en Angleterre et en Amérique ; puis, se souvenant de la population française du Canada, il rappelle qu’elle est du même sang que le noble Lafayette. Après les complimens, il entre en matière ; il déclare nettement que le Canada est content de l’Angleterre et veut rester sous sa domination ; l’orateur convient qu’il n’en a pas été toujours ainsi, mais il affirme que les Canadiens ont obtenu ce qu’ils désiraient. Il ose même ajouter : « Nous vous avons enviés, nous ne vous envions plus, l’Angleterre nous a donné ce que vous avez. » Je dois dire que ce discours a eu moins de succès que les autres, et qu’il faisait naître autour de moi des murmures qui n’étaient pas des murmures d’approbation. Je me disais : Voilà sans doute quelque fonctionnaire anglais au Canada qui ne veut pas laisser passer cette cérémonie sans avoir protesté de sa loyauté. Quelle était mon erreur ! Celui qui venait de parler ainsi était M. Neilson, qui, bien qu’Anglais d’origine, est depuis vingt ans un des chefs les plus distingués et les plus ardens du parti national au Canada, au point qu’il a pris les armes, commandé les insurgés, et à leur tête a gagné sur les Anglais la bataille de Saint-Denis ; mais, comme il le disait tout à l’heure, le pays a obtenu ce qu’il désirait : l’Angleterre, mieux éclairée sur ses intérêts et comprenant que le seul moyen de ne pas précipiter le Canada dans l’union américaine, c’est de le bien gouverner,— l’Angleterre a changé de politique envers lui, elle lui a donné un vrai gouvernement représentatif, dans lequel les Canadiens français, grâce à l’accession d’un certain nombre d’Anglais raisonnables, ont la majorité. De plus, le gouverneur actuel, lord Elgin, s’est montré favorable à leur égard jusqu’à provoquer un soulèvement du parti anglais violent, émeute odieuse qui a déconsidéré ce parti. Dans ces conjonctures, M. Neilson, comme les plus sages patriotes du Canada, s’est attaché franchement à l’Angleterre du jour où elle voulait être juste, comprenant bien que la nationalité