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bâtimens en briques servent de demeures aux étudians ; le tout a un aspect recueilli et solitaire. On est bien loin de l’Amérique industrielle, ou plutôt on a l’air d’en être bien loin ; mais elle est à une demi-lieue, et je crains que les préoccupations matérielles, le besoin de s’enrichir, ne soient également à la porte de ce séjour scientifique, et n’attirent prématurément les jeunes gens que je vois errer sous ces paisibles ombrages. Comment se plaire longtemps ici avec des livres, quand, à deux pas de soi, on sent l’activité inquiète d’un peuple calculateur et entreprenant ? comment ne pas être bientôt entraîné par le tourbillon, et ne pas quitter de bonne heure des occupations sans résultat positif, pour celles qui donnent la fortune, l’influence, la considération, le pouvoir ?

Ma première visite est pour M. Sparks, président actuel de l’université. M. Sparks a consacré sa vie à l’histoire de son pays. Il a publié des documens importans sur l’histoire de la révolution américaine ; il en a recueilli un bon nombre dans les archives du ministère des affaires étrangères à Paris, et se loue beaucoup de la libéralité avec laquelle ces archives ont été ouvertes à ses recherches. M. Sparks a écrit la Vie de Washington, et donné au public la correspondance annotée de ce grand homme. Il est auteur de plusieurs biographies très bien faites sur les principaux personnages qui ont figuré dans l’histoire de son pays. C’est le Plutarque américain.

À ceux qui douteraient qu’on pût rencontrer aux États-Unis le type parfait du scholar et du gentleman, je citerais M. Ed. Everett, qui vit à Cambridge, où il a été président de l’université, comme il a été gouverneur de l’état du Massachusetts et ambassadeur en Angleterre. M. Everett est surtout renommé pour l’élégance de son style ; la collection de ses discours offre un modèle classique de la prose américaine. M. Everett a tout à fait les manières d’un homme d’état anglais. Nous parlons des institutions des États-Unis ; il ne voit pour elles qu’un danger, mais ce danger lui paraît grand : c’est la terrible difficulté de l’esclavage. En abordant ce sujet, sa figure sérieuse et douce exprime une inquiétude profonde, et cet homme si éclairé ne semble voir aucune solution au redoutable problème. Comment ne pas reconnaître, en effet, que l’esclavage est en soi un fait monstrueux et une institution détestable ? S’il s’agissait de l’établir aux États-Unis, la question ne serait pas douteuse, et il faudrait le repousser comme le repoussèrent à plusieurs reprises les colonies anglaises, quand la métropole leur envoyait, malgré leurs réclamations, à la fois des nègres et des forçats ; mais il ne s’agit pas d’établir l’esclavage, il s’agit de le conserver dans les états où il existe, ou bien de l’y abolir. Le conserver est déplorable, l’abolir ne peut se faire que du consentement de ces états, aussi complètement maîtres chez eux, à cet égard,