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intelligens et d’une meilleure nourriture, de sorte qu’on peut affirmer, sans crainte d’exagération, que le revenu de la France en moutons doit avoir quadruplé depuis un siècle, bien que le nombre de ces animaux n’ait que doublé. C’est beaucoup sans doute qu’un pareil progrès, mais nous allons en constater un plus grand, en comparant à l’histoire des troupeaux en France, depuis cent ans, la même histoire en Angleterre pendant la même période.

Il y a toujours eu beaucoup de moutons en Angleterre; ces îles étaient déjà, sous ce rapport, célèbres du temps des Romains. Les races primitives vivaient à l’état sauvage, on retrouve encore leurs derniers descendans dans les montagnes du pays de Galles, de la presqu’île de Cornouailles et de la Haute-Ecosse. Cette tendance naturelle du sol et du climat n’a fait que s’accroître et se fortifier avec le temps. Déjà, il y a près de trois siècles, au moment où l’esprit commercial et manufacturier a commencé à se développer en Europe, l’élève des moutons avait pris brusquement en Angleterre une extension inusitée partout ailleurs : c’était alors la laine qu’on recherchait avant tout, comme de nos jours en France. On les distinguait en races à longue laine et races à laine courte, les premières surtout étaient très estimées. L’Angleterre avait sur nous une grande avance, quand nous avons commencé à nous occuper de nos troupeaux, et cette avance s’est accrue par la révolution nouvelle qui a inauguré chez elle la supériorité de la viande sur la laine comme produit. Cette fois encore, nous avons été devancés.

Vers le temps où le gouvernement français travaillait à introduire en France les mérinos, des tentatives du même genre furent faites en Angleterre. A l’exemple de Louis XVI, le roi George III, qui était fort occupé d’agriculture, fit venir à plusieurs reprises des moutons espagnols qu’il établit sur ses propres terres. Les premiers importés périrent : l’humidité des pâturages leur donnait des maladies qui devenaient bientôt mortelles. On plaça les derniers venus sur un terrain plus sec, et ils vécurent. Dès ce moment, il fut démontré que le climat anglais, s’il mettait une limite à la propagation des mérinos, n’était pas du moins un obstacle invincible à leur introduction. Des grands seigneurs, des agriculteurs célèbres, s’occupèrent activement des moyens de naturaliser cette nouvelle race; mais les fermiers firent, dès le début, des objections plus fondamentales que celles du climat ; les idées avaient changé, on commençait à pressentir l’importance du mouton comme animal de boucherie. Peu à peu cette tendance nouvelle a prévalu, la race espagnole a été abandonnée par ceux même qui l’avaient le plus vantée à l’origine, et aujourd’hui il n’existe plus de mérinos ou métis-mérinos en Angleterre que chez quelques amateurs, comme objet de curiosité plutôt que de spéculation.