Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 1.djvu/278

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui avaient été déjà plus grands en Angleterre que chez nous, les deux pays ont suivi dans l’éducation des troupeaux deux tendances opposées. En France, la laine a été considérée comme le produit principal et la viande comme le produit accessoire; en Angleterre, au contraire, la laine a été considérée comme le produit accessoire, et la viande comme le produit principal. De cette simple distinction, qui paraît peu importante au premier abord, datent des différences dans les résultats qui se comptent par centaines de millions.

Les efforts tentés en France pour l’amélioration de la race ovine depuis quatre-vingts ans se résument presque tous dans l’introduction des mérinos. L’Espagne possédait seule autrefois cette belle race, qui s’était formée lentement sur l’immense plateau des Castilles; la réputation méritée des laines espagnoles engagea plusieurs autres nations de l’Europe, notamment la Saxe, à tenter l’importation. Cette tentative ayant réussi, la France voulut en essayer à son tour, et le roi Louis XVI, ce prince excellent, qui donna le signal de tous les progrès réalisés depuis, sollicita et obtint du roi d’Espagne l’envoi d’un troupeau espagnol pour sa ferme de Rambouillet. C’est ce troupeau qui, amélioré et en quelque sorte transformé par les soins dont il a été l’objet, est devenu la souche de presque tous les mérinos répandus en France. Deux autres sous-races, également d’origine espagnole, celle de Perpignan et celle de Naz, ont été dépassées par lui.

Les propriétaires et les fermiers français hésitèrent beaucoup d’abord à adopter cette innovation. La révolution étant survenue, plusieurs années se passèrent sans qu’aucun résultat sérieux fût obtenu; ce ne fut guère que sous l’empire que les avantages de la nouvelle race commencèrent à se répandre. Le mouvement une fois engagé gagna de proche en proche, et, de grands bénéfices ayant été faits, l’enthousiasme finit par succéder à l’indifférence.

Beaucoup de fortunes de fermiers, notamment dans les environs de Paris, datent de cette époque. La production de béliers pour la propagation de la race était devenue, dans les premières années de la restauration, une industrie fort lucrative. Un bélier de Rambouillet fut vendu 3,870 francs en 1825. C’est qu’en effet, quand le mouton indigène donnait à peine quelques livres d’une laine grossière, le mérinos dépouillait le double ou le triple en poids d’une laine fine d’un prix plus élevé. Ce profit était considérable, il parut suffisant à nos cultivateurs, qui n’en imaginaient pas d’autre; c’est ainsi que la propagation des mérinos fut considérée en France comme le but suprême que devait rechercher l’économie rurale dans l’élève du mouton. Un quart environ des moutons français est aujourd’hui composé de mérinos ou métis-mérinos; le reste a gagné en même temps, soit en viande soit en laine, par le seul effet de soins plus