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victorieux que lorsque toutes les consciences seraient libres. Il fut toujours bien inspiré devant les électeurs. Il leur parla toujours un langage mâle et hardi, et n’acheta jamais leurs suffrages au prix d’une seule vérité. Cette fois, il semblait d’abord qu’on l’eût compris, et il se rendit le front levé au lieu de l’élection ; mais trois jours après, il vit le résultat douteux ; la lutte s’annonçait très-vive, et, en quelques mots brefs et sévères, il déclara qu’il se retirait. Le bourg de Malton lui offrit un humble asile pour tout le reste de sa vie publique.

À l’ouverture du nouveau parlement, l’opposition se sentit plus forte, Burke renouvela sa motion de la réforme économique, et trouva un auxiliaire nouveau dans le jeune Pitt, qui parlait pour la première fois (février 1781). Ainsi Fox en commençant l’avait combattu, et Pitt à son début l’appuyait. Mais les réformes ne s’accomplissent guère, si le pouvoir n’est aux mains de ceux qui les proposent. Ce n’est qu’en 1782, sous l’administration du marquis de Rockingham, que plusieurs bills successifs réalisèrent les vues de Burke et abolirent deux cent seize places inutiles. S’il eut l’honneur d’ouvrir cette voie de réforme où quelques-uns des derniers ministères de la Grande-Bretagne ont de nos jours marché à si grands pas, n’oublions point que de ce premier et grand essai date un notable progrès d’indépendance et de dignité parlementaire. Jusqu’alors, en matière de places et de pensions, il régnait un relâchement de principes incroyable. À dater de cette époque, les mœurs politiques se sont épurées, ennoblies, et c’est aujourd’hui à de tout autres conditions qu’au dernier siècle qu’en Angleterre un homme public peut se dire un honnête homme. Le mouvement naturel de la société portait dans ce sens ; mais la sévérité et l’élévation d’esprit de Burke y fut aussi pour quelque chose. Ses discours et ses écrits ont le caractère d’un historien moraliste, et son influence eut le caractère de son talent.

Il put appuyer le succès de ses idées par l’exemple du désintéressement personnel, car au mois de mars 1782 il était payeur-général des forces, poste très-lucratif qu’avaient occupé Robert Walpole, lord Holland, lord Chatham. Il fit sur cet emploi des réformes qui rendirent au trésor 47,000 livres sterling par an et qui réduisirent de 25,300 les émolumens auxquels il avait droit.

Mais comment Burke n’était-il pas ministre ? Comment ne siégeait-il pas, dans le même cabinet, avec Rockingham dont il s’était montré l’ami si fidèle, avec Fox, auquel l’unissait alors tant de confiance et d’affection ? Burke avait été dix-sept ans un des chefs et pendant quelques années le chef de l’opposition dans les communes. Son talent était du premier ordre, sa considération égalait son talent. M. Prior convient que trois ans plus tôt il eût été un ministre influent ; mais, en qualité de tory très-décidé, le biographe s’en prend à l’esprit