Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 1.djvu/248

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

innombrables admirateurs. Il était candidat à des honneurs contradictoires, et son grand but était de réunir dans une commune admiration pour lui ceux qui n’étaient jamais réunis en aucune autre chose. De là naquit cet acte malheureux, sujet du débat de ce jour, fruit d’une disposition singulière, qui, après avoir créé pour plaire à l’un un revenu américain, l’abolit pour plaire à d’autres, et le ressuscite dans l’espérance de plaire à un troisième, et de cueillir quelque chose dans les idées de tous. »


La politique de Burke n’avait pas la majorité. La nouvelle Angleterre irritait la vieille Angleterre et ne l’intimidait pas ; mais cette lutte ruinait le commerce. Eclairée par ses intérêts, la ville de Bristol, qui était le Liverpool du temps, voulut offrir à Burke l’honneur gratuit de la représenter au parlement (1774). Séparé par quelque différend de lord Verney et par suite du bourg de Wendover, il recherchait les suffrages des électeurs de Malton, lorsqu’à l’appel de ceux de Bristol il se rendit dans leur ville et les harangua par deux fois. Un de ses discours a été souvent cité jadis à la tribune française. En se présentant comme le défenseur également dévoué de la liberté et de l’ordre, il y réclame avec franchise la liberté de l’élu après l’élection. La confiance oblige, l’opinion des commettans est d’un grand poids ; il faut toujours la consulter, mais non la suivre toujours. Celui qu’ils ont choisi leur doit le sacrifice de ses plaisirs, de son repos, de son bonheur ; mais son jugement, mais sa conscience, ne sont à personne ; il ne peut aliéner ces dons de la Providence. Le gouvernement n’est point une affaire de goût, mais de raison. Le parlement n’est pas une conférence de mandataires liés par des instructions ; c’est une assemblée politique où doit régner un seul intérêt, l’intérêt général. L’élu de Bristol n’est pas un membre de Bristol, mais un membre du parlement. Ainsi, en acceptant la mission, il s’engageait à l’indépendance.

À l’ouverture de la session, la crise américaine s’était aggravée. Les mesures prises pour fermer le port de Boston avaient engagé la lutte. Le premier congrès s’était assemblé à Philadelphie. La fusillade de Lexington annonçait la guerre civile. Des deux côtés de l’Atlantique, les esprits étaient diversement émus. Des pétitions demandant un accommodement commençaient à affluer sur le bureau de la chambre des communes. Ce mot de conciliation, lord North lui-même était forcé de le faire entendre, tout en renouvelant les actes de rigueur contre le commerce colonial. La majorité semblait ébranlée dans sa confiance au système jusqu’alors suivi. Après quelques variations, lord Chatham se prononçait. Il parut qu’un plan de pacification largement conçu pouvait encore réussir : Burke se chargea de le proposer (22 mars 1775).

Son discours est une œuvre de méditation et d’art. Il se fonde sur