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« J’en ai fini avec la troisième période de votre politique, celle de la révocation des actes et du retour à votre ancien système, à votre ancienne tranquillité et à votre concorde. Monsieur, cette période n’a pas été aussi longue qu’elle a été heureuse; une autre scène s’est ouverte et d’autres acteurs ont paru sur le théâtre. L’état, dans la situation que j’ai décrite, fut confié aux mains de lord Chatham, nom grand et illustre, nom qui rend celui de ce pays respectable à tous sur le globe,. On peut dire de lui avec vérité :

Clarum et venerabile nomen
Gentibus, et multum nostræ quod proderat urbi.

« Monsieur, l’âge vénérable de ce grand homme, son rang mérité, son éloquence supérieure, ses éclatantes qualités, ses éminens services, la place immense qu’il remplit aux yeux du genre humain, et, plus que tout le reste, sa chute du pouvoir qui, telle que la mort, canonise et sanctifie un grand caractère, ne me permettraient de censurer aucune partie de sa conduite. Je puis craindre de le flatter; je suis sûr de n’être pas disposé à le blâmer. Que ceux qui l’ont trahi par leurs adulations l’insultent aujourd’hui dans leur malveillance. Mais ce que je n’oserais censurer, il peut m’être permis de le déplorer. Pour un homme de cette sagesse, il m’a paru se trop gouverner à cette époque par des maximes générales. je parle avec la liberté de l’histoire, et, je l’espère, sans offense. Une ou deux de ces maximes inspirées par une opinion qui n’était pas des plus indulgentes pour notre malheureuse espèce, et sûrement un peu trop générales, l’ont conduit à des mesures qui sont devenues bien funestes à lui-même, et, pour cette raison entre autres, fatales peut-être à son pays, mesures dont les effets, j’en ai peur, sont à jamais irréparables. Il a formé une administration si divisée, si bigarrée, il a composé une pièce de marqueterie si bizarre dans ses entrecroisemens, si changeante dans ses couleurs, un cabinet si diversement parqueté, une mosaïque si variée, un pavé de carreaux sans ciment, ici un morceau de pierre noire, là de pierre blanche, patriotes et courtisans, amis du roi et républicains, whigs et tories, traîtres amis et ennemis déclarés, que c’était véritablement un curieux spectacle, mais quelque chose de peu solide au toucher, de peu sûr pour qui voulait y poser le pied. Les collègues qu’il avait appareillés dans les mêmes bureaux étaient surpris de se rencontrer et obligés de se demander : « Monsieur, votre nom? — Monsieur, vous êtes mon supérieur. — Monsieur un tel. — Je vous demande mille pardons. » J’oserai dire qu’il est arrivé que des personnes eussent chacune moitié du même office sans s’être parlé de leur vie, jusqu’au jour où elles se rencontraient ainsi, sans savoir comment, couchant ensemble tout de leur long dans le même lit.

« Monsieur, lorsque, par suite de cet arrangement, il a eu en bloc une majorité d’ennemis et d’opposans dans le pouvoir, la confusion a été telle que ses propres principes ne pouvaient plus avoir d’effet ni d’influence sur la conduite des affaires. S’il venait à être atteint d’une attaque de goutte ou si quelque autre cause l’arrachait aux soins publics, des principes directement opposés aux siens étaient assurés de prédominer. A peine son plan a-t-il été mis en vigueur qu’il ne lui est plus resté un pouce de terrain pour se tenir debout. Sa combinaison ministérielle était à peine achevée qu’il a cessé d’être ministre.