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son élève, qu’on le lui avait amené à l’âge de quatorze ans, et qu’il avait formé sa jeunesse à la politique.

Mais il faut retracer avec de plus grands détails les débats mémorables où Burke porta au plus haut degré sa renommée d’orateur.

Le premier, qui occupa treize sessions, est le débat sur les affaires d’Amérique. Le second des discours de Burke conservés dans les recueils est celui qu’il prononça sur ce sujet dans la discussion de l’adresse de 1770, et peu après il proposa, dans la même question, la censure de la conduite du cabinet Les colonies anglaises étaient dans l’usage de faire suivre leurs affaires auprès de la métropole par des mandataires de leur choix. Quoique cette position, dont l’analogue existait en France il y a quelques années, m’ait toujours paru peu compatible avec l’indépendance du membre d’une assemblée représentative, Burke accepta en 1771 le titre d’agent de l’état de New-York, avec un traitement annuel de 1,000 livres sterling. Ces fonctions, qu’il ne garda qu’un temps, purent lui ôter de son autorité, mais servirent à lui donner, touchant les affaires d’outre-mer, des connaissances encore plus approfondies, « Cet homme est surprenant, disait en 1774 un ami de Franklin, il en sait plus sur l’Amérique que toute la chambre ensemble. » Franklin lui-même, pendant tout le temps qu’il resta à Londres comme délégué du Massachusets, eut de fréquentes entrevues avec Burke. On sait que l’habile docteur disait que dans tout le cours de sa mission il n’avait trompé le conseil privé qu’en lui disant la vérité; mais la vérité qui trompait les ministres éclairait Burke. Il voyait grossir l’orage, et dans la conversation de Franklin il puisait les moyens de le conjurer. C’est ainsi qu’il ne parlait que bien instruit. Une étude complète de son sujet, c’était sa manière de se préparer. Aussi la solidité est-elle un des mérites de ses discours. Quoique très étendus, il sont remplis; parfois ils ressemblent trop à des traités sur la matière, composés pour l’éducation de son auditoire. Ses qualités brillent éminemment dans son discours du 19 avril 1774 sur la taxation américaine, discours comparable aux plus beaux qu’il ait prononcés, le premier qu’il ait jugé digne de l’impression, et qui doit nous arrêter quelques instans.

On se rappelle que Grenville avait établi un droit de timbre aux colonies, et que Rockingham l’avait aboli. Le ministère de lord Chatham ou plutôt Charles Townshend, son chancelier de l’échiquier, fit adopter six taxes nouvelles, dont une sur le thé, et celle-ci resta seule, quand en 1769 le parlement eut révoqué les cinq autres. En 1774, M. Rose Fuller proposa de supprimer la sixième. Ce débat remettait en présence les deux systèmes, la résistance et la conciliation. Tous les cabinets étaient remis en scène, et Burke ne pouvait