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Carlton House un monde à part et l’asile des disgraciés de la fortune parlementaire. Lord Bute, qui à tous les titres régnait dans ce palais, était d’une race écossaise, et comme tel il avait au moins conservé l’ancien loyalisme de sa race. Il ne connaissait, et même n’ambitionnait que l’influence attachée par la faveur occulte à un dévouement et à une habileté plus domestique que politique. C’est au point que lorsque l’avènement de George III le fit chef du ministère, il s’y trouva bientôt mal à l’aise et renonça sans nécessité et presque sans prétexte au gouvernement. Mais la politique qu’il semblait personnifier, et qui continua à rendre son nom odieux, persista après lui et domina en son absence. Elevé dans ces idées, le médiocre et obstiné George III se fit toujours un devoir (car les bigots appellent devoirs leurs passions) de mettre, comme on disait alors, la royauté hors de page. S’il n’eût pas échangé sa stupidité contre la folie, son règne aurait pu devenir funeste à la constitution et se terminer dans une crise révolutionnaire. Dès les premiers temps, il donna les mains à tous les efforts pour séparer la cour et le ministère. Tandis que constitutionnellement c’est le roi qui possède le pouvoir et les ministres qui l’exercent, les nouveaux Strafford renversèrent les rôles. Il fut entendu que sous le nom d’influence, il fallait assurer au roi et à sa coterie permanente une force en dehors de son gouvernement avoué, force qui paralysât l’autorité de ses ministres, c’est-à-dire son pouvoir officiel, lors même qu’elle ne parviendrait pas à le soumettre et à fabriquer un cabinet de courtisans. Pour atteindre ce but, il fallait le concours ou la tolérance du parlement. Le premier soin fut de dissoudre ces associations puissantes qui y avaient exercé une si grande autorité, d’entretenir ou de susciter la division dans l’ancien parti du gouvernement, de faire même appel à l’indépendance jalouse ou à l’envieuse versatilité, pour briser le joug de ces guides dont le talent impérieux pèse toujours un peu à ceux qu’ils conduisent. On s’efforça de persuader, soit par la critique toujours facile des partis et de leurs chefs, soit par la puissance corruptrice des faveurs innombrables dont la liste civile disposait en maîtresse, aux gens intéressés ou faibles, qu’il y avait plus de sûreté à s’attacher à la royauté qui dure qu’aux ministères qui changent; on tendit enfin à former un parti de la cour qui fût l’appoint nécessaire et bientôt peut-être le corps de bataille de la majorité gouvernementale. Cette intrigue avait, dès 1761, forcé à la retraite Pitt au milieu de ses triomphes. Par elle, le duc de Newcastle, suspect à raison non de son caractère, mais de la force de sa clientèle, avait été bientôt sacrifié à la vieille rancune des hôtes de Carlton House contre les Pelham. George Grenville, choisi parce qu’il ne pouvait arriver seul au pouvoir sans