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elle avait au fond gagné à ses défaites. On n’avait pu trop se hâter de conclure la paix, et le ministère de lord Bute, en se pressant de la signer, s’était dévoué pour arrêter le pays sur le, penchant de sa perte. Une dette écrasante, un commerce en déclin, des colonies en souffrance, des finances en désordre, tels sont les maux que par des mesures énergiques le cabinet Grenville commençait à réparer, et, après que le cabinet Rockingham les avait ramenés, augmentés, ils s’accroissaient encore sous ses successeurs. L’état était en péril, si l’on n’appelait pas ceux qui, seuls ayant prévu le mal, seuls le pouvaient guérir.

Burke entreprit une réfutation complète. Contre un antagoniste fort par les faits et les chiffres, il ne s’en tint pas à des considérations générales; il le suivit sur souterrain, et, discutant les questions techniques avec une clarté supérieure, il détruisit pièce à pièce tout l’échafaudage d’une spécieuse argumentation. Un écrit de ce genre ne saurait être analysé, et l’on admettra aisément, je pense, que l’auteur réussit à montrer qu’une guerre qui donne à un grand pays de la gloire et des conquêtes ne le ruine pas, quoi qu’elle lui coûte, et qu’inévitablement la paix après la victoire amène la richesse et la prospérité. Si le présent a ses dangers, tels que la crise du commerce et des colonies, ces dangers sont dus aux mesures irréfléchies et rudes auxquelles Grenville a attaché son nom. Or, loin de les désavouer, il ne propose que de les renouveler en les aggravant encore. La pire de toutes avait été l’établissement du droit de timbre. Jusque-là, le parlement d’Angleterre, sans douter de son droit de taxer les colonies, avait toujours douté qu’il fût sage d’en user pour accroître le revenu public. Les colonies, sans contester un droit dont elles ne ressentaient pas l’atteinte, jouissaient en paix de leurs institutions propres, qui pour leurs affaires intérieures leur assuraient tous les droits d’un peuple libre. Aucun débat inutile ne s’élevait sur les limites des deux prérogatives, « sur des questions qui sont plus du ressort de la métaphysique que de la politique, et qui ne peuvent jamais être remuées sans ébranler les fondemens des meilleurs gouvernemens qu’ait pu instituer la sagesse humaine. » C’est en rompant ce compromis, cette conciliation suffisante et toute pratique, qu’on a comme à plaisir allumé les passions d’un peuple sensible et fier. En trouvant la querelle ouverte entre la métropole et les colonies, le cabinet Rockingham n’avait pour la calmer qu’une conduite à tenir : abandonner l’exercice malencontreux du droit de taxer, sans abandonner le droit lui-même. Il était fâcheux sans doute de paraître céder; il l’était davantage, en persistant dans une faute, de perdre et le commerce et les colonies. Dans cette alternative, deux actes avaient été rendus, l’un qui déclarait la prérogative de la métropole, l’autre qui révoquait