Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 1.djvu/227

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

troisième année une pension de trois cents livres sterling sur le fonds de l’établissement de l’Irlande, souvent grevé de dons plus abusifs. A ce prix, Hamilton crut apparemment acheter un dévouement absolu et s’acquérir envers un subordonné le droit de disposer à la fois de ses opinions, de son jugement, de son travail et de son temps; mais Burke ne pouvait renoncer au droit de penser et de dire sa pensée. Il n’approuvait pas toute l’administration de lord Halifax ; son indépendance se heurtait souvent à l’orgueil de Hamilton; il brisa le joug, et rendit, avec une dignité un peu hautaine, un bienfait que le bienfaiteur ne dédaigna pas de reprendre pour son compte, sous le nom d’un de ses agens. Tous les liens furent rompus, et Burke revint à Londres avec de nouveaux titres à l’estime et à l’intérêt de ses amis.

Il avait mis, pour ainsi dire, le pied dans la politique. Le mouvement était donné, et ne devait plus s’arrêter qu’avec sa vie. Ses relations et ses études n’eurent plus qu’un objet. Histoire constitutionnelle, précédens parlementaires, faits économiques, il voulait tout connaître. Assidu à suivre les travaux de la chambre des communes, il se formait à la parole dans une société de discussion (debating society) connue sous le nom de Société de Robin-Hood. En même temps, il ne négligeait pas le Club littéraire, institution dont il fut un des fondateurs avec Reynolds et Johnson.

Malgré sa liaison avec le célèbre docteur, il n’était nullement de son école en politique. À cette époque, le court passage de lord Bute au pouvoir, la rude manière de gouverner de George Grenville avaient soulevé l’opinion contre le favoritisme de cour et l’arbitraire ministériel. Diverses questions constitutionnelles, comme les droits des colonies en matière d’impôt, comme la légalité des mandats généraux d’arrestation qui intéressait la liberté individuelle, comme la destitution des membres militaires du parlement pour un vote indépendant sur cette question même, avaient vivement agité la tribune et la presse. Un mouvement d’opinion chaque jour plus prononcé laissait chaque jour le pouvoir plus isolé et plus affaibli. L’esprit ardent et généreux de Burke ne pouvait que suivre ce mouvement, ou plutôt il le devançait. On a dit qu’il n’avait été whig que par accident; cela est vrai, si l’on veut dire qu’il ne pouvait l’être que dans un temps où le débat n’était pas ouvert entre l’esprit de conservation et l’esprit de révolution, mais entre une cour justement soupçonnée de prétentions usurpatrices et un parti populaire jaloux de sauver ou de revendiquer les principes de la constitution établie ; le torisme était alors à peu près le synonyme d’absolutisme; c’est lui qui menaçait les institutions; être whig, c’était les défendre. En aucun temps, Burke n’a eu ni les goûts, ni les mœurs, ni les principes d’un