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des meilleurs de se faire une position dans le monde. Les liaisons nombreuses que Burke avait formées à Londres commençaient la sienne. Elisabeth Montagu, qui dans le genre épistolaire a renouvelé sans l’égaler la réputation du nom qu’elle portait, écrivait à propos de l’ouvrage sur le beau : « L’auteur est dans ses écrits et sa conversation un homme ingénieux et ingénu, modeste et délicat, et sur les grands et sérieux sujets, rempli de ce respect, de cette vénération qu’une âme bonne et grande est assurée de ressentir, tandis que des insensés sautent par dessus l’autel devant lequel les sages s’agenouillent et paient leur mystérieux tribut. » La grave jeunesse de Burke devait produire cette impression. Des hommes dont le suffrage est une autorité se portaient déjà caution de la distinction de son esprit. Dès le commencement de son séjour à Londres, il avait formé des relations assez étroites avec Garrick, qui était presqu’un homme de lettres et un homme du monde. Une liaison plus intime, et qui devint une intime amitié, l’unissait à sir Joshua Reynolds, cet habile artiste et cet habile critique qui marquait dans la société, grâce à son talent, dont les œuvres sont chaque jour plus estimées, grâce à sa conversation, dont ses écrits portent plus d’un brillant témoignage. Samuel Johnson, ce juge difficile qui gouvernait l’opinion dans les matières d’esprit, et dont l’influence et la renommée ont surpassé les ouvrages, avait connu Burke à dîner chez Garrick, et il aperçut de bonne heure sa supériorité naissante. Il prisait très haut sa conversation, quoiqu’il lui refusât l’esprit de mots. Cette conversation, en effet, était admirée de tous les contemporains. Elle frappait à la première vue. « Un homme de sens, disait Johnson, ne pourrait rencontrer Burke par hasard, en s’arrêtant sous une porte pour éviter une averse, sans partir convaincu que c’est le premier homme de l’Angleterre. »

À trente ans néanmoins, le premier homme de l’Angleterre était encore obligé de travailler pour vivre. M. Prior, qui met beaucoup de soin aie disculper, comme d’une faute, de la gêne toujours honorable dans laquelle il vécut, dit que son père, enfin touché de ses succès, lui donnait alors deux cents livres sterling par an. Cela n’empêcha pas qu’il ne formât le projet de passer en Amérique, pour essayer du commerce, et peu s’en fallut que l’Angleterre ne perdît un des hommes qui l’ont le plus honorée. Il aurait brillé certainement parmi les fondateurs de la liberté des États-Unis ; cette révolution-là était dans son génie ; mais il resta à Londres, et il écrivit. C’est en 1757 qu’il publia, avec l’aide, dit-on, d’un collaborateur inconnu, un tableau des établissemens européens en Amérique, ouvrage qui lui fut suggéré par le livre de Raynal, et que Dugald Stewart appelait une esquisse de maître. C’est ainsi qu’un an après il fonda, avec le libraire