Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 1.djvu/214

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
208
REVUE DES DEUX MONDES.

statistique une exactitude et une critique qui le distinguent profondément de l’esprit germanique. Les résultats qu’ont obtenus sur ce terrain quelques écrivains danois font bien augurer de l’avenir d’un mouvement d’études si digne de l’attention et, des encouragemens de l’Europe. A. GEFFROY.

Souvenirs de voyages et d’études, par M. Saint-Marc Girardin[1]. — En recueillant ces Souvenirs, M. Saint-Marc Girardin ne fait pas seulement une chose agréable au public, il fait aussi un acte de fidélité. Pourquoi ne le dirions-nous pas sans détour ? Dans ce livre adressé aux lecteurs de 1852, ils trouveront à chaque page un homme de 1828 et de 1830. Cela s’entend : un homme de 1830, c’est un partisan de la liberté honnête et réglée, de la philosophie sans libertinage, de la religion sans fanatisme et sans hypocrisie, un ami de toutes les choses généreuses, enfin, pour trancher le mot, un esprit libéral. Oui, c’est en esprit libéral et en philosophe que M. Saint-Marc Girardin a visité l’Europe, jugé les hommes, les lieux, les institutions. Soit qu’il voyage aux enfers de Virgile, l’Enéide à la main ; soit qu’il aille à Munich s’entretenir de métaphysique avec Schelling, de mysticisme avec Baader et Goerres, de statuaire avec Cornélius ; soit qu’il descende le Danube de Vienne à Galatz, pour étudier sur place la question d’Orient et observer les principautés qui en sont le nœud, partout il se plaît à recueillir les traces des idées françaises de 89, se répandant à travers tous les obstacles par les livres de nos grands écrivains mieux encore que par les conquêtes de nos soldats.

Ce que nous aimons en M. Saint-Marc Girardin, c’est qu’il est un des rares esprits qui, de notre temps, ont conservé une foi. Quelle est donc, dira quelqu’un, la foi de cet impitoyable et charmant railleur qui médit si volontiers de son siècle, de son pays et du genre humain, qui souffle sur nos chimères, se joue de nos exaltations, perce à jour nos vanités et nos ridicules ? S’il croit au vrai et au bien, quel est son système ? Nous répondrons avec candeur que le système de M. Saint-Marc Girardin nous est complètement inconnu. Quand il nous vante les secrètes beautés de l’ontologie transcendante de M. Hegel, nous nous défions de lui. Il a beau nous citer ses deux saints de prédilection, saint Paul et saint Augustin, nous ne le croyons pas janséniste pour cela. En fait de systèmes, nous le soupçonnons d’être de l’école de Micromégas. Mais n’allez pas confondre sa raillerie avec celle de Candide. Elle est vive, légère, charmante, j’en conviens, mordante quelquefois, mais amère, mais cruelle, jamais. Sous ce ton de moquerie enjouée, on sent l’amour et le respect de la dignité humaine. Ce doute, qui pénètre ou effleure tant de choses, s’arrête toujours à propos. Son contrepoids n’est pas seulement dans la raison, il est dans le cœur. M. Saint-Marc Girardin nous raille, mais il nous aime. Il nous croit faibles, non incorrigibles. Il nous tient en garde contre l’exaltation, il ne nous jette pas dans l’indifférence. Cette foi morale qui jamais ne l’abandonne, il sait la répandre et la communiquer. De là cette chaleur douce et pénétrante qui vient animer sa raison et la préserver de la sécheresse ; de là, le caractère d’honnête homme empreint à toutes les pages de son livre. E. SAISSET.




V. de Mars.
  1. 1 vol. in-12, chez Amyot, rue de la Paix.