Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 1.djvu/211

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

historiques du Danemark, s’est montré le plus ardent des archéologues du Nord pour revendiquer envers l’Allemagne les titres de son pays à l’indépendance et pour restituer à l’histoire, par l’interprétation des monumens du paganisme, des époques jusqu’à présent inconnues. Venu à une époque où l’étude des antiquités scandinaves et de l’écriture runique avait, il est vrai, séduit les imaginations, mais sans obtenir de résultats réels, M. Worsaae pensa qu’une critique sévère, seule capable de faire avancer la science, devait remplacer désormais un enthousiasme dangereux; il osa, en 1844, contester la découverte que le savant Finn-Magnussen avait cru faire à propos de la fameuse inscription de Runamo[1]. Les érudits du Nord avaient pendant long-temps cherché l’explication de certains caractères qu’on croyait apercevoir sur le rocher de Runamo, dans la province de Bleking, au sud de la Suède, et qui semblaient se rapporter à une ancienne inscription mentionnée par Saxo Grammaticus. En 1833, le roi de Danemark chargea Finn-Magnussen, de concert avec MM. Forchhammer et Molbech, d’examiner de nouveau et de résoudre, s’il était possible, la question. Finn-Magnussen, après un an d’études, annonça qu’il avait enfin déchiffré cette inscription runique en la lisant de droite à gauche, et, construisant sur sa découverte un système ou tout au moins des inductions nouvelles, il crut avoir obtenu des résultats inattendus, soit pour la science historique en général, soit en particulier, pour la connaissance de l’ancienne écriture runique. Cependant, tandis que Finn-Magnussen était occupé à rédiger un long et savant rapport, qui devint un ouvrage important[2], le célèbre chimiste suédois Berzélius et M. le professeur Nilsson, de l’université de Lund, le premier en 1838, et le second en 1841, publièrent des mémoires dont les conclusions, tout à fait contraires à celles de la commission danoise, tendaient à établir que ce qu’on avait pris pour des runes n’était que les accidens d’un filon de trapp dans le rocher granitique. L’attention des savans de l’Europe était vivement excitée par cette singulière polémique, lorsque M, Worsaae, après deux voyages en Suède, apporta dans la discussion de nouveaux argumens, et ruina la découverte prétendue de ses savans compatriotes. Toutefois, comme un grand esprit ne descend jamais dans un débat sans l’agrandir et le féconder, il se trouva que la science profonde de Finn-Magnussen avait découvert, chemin faisant, des aperçus qu’il n’avait pas jusqu’alors soupçonnés; M. Worsaae s’est plu à reconnaître lui-même cet heureux résultat; il a pu se consoler ainsi d’une lutte inévitablement pénible contre un tel adversaire. — La seconde période des travaux archéologiques de M. Worsaae s’est inspirée du sentiment patriotique qui animait tout le Danemark en 1848 et 1849. Contre l’Allemagne envahissant les duchés, tout Danois devint soldat, de la plume ou de l’épée, et pendant que se gagnaient les journées de Fredericia et d’Idstedt, les poètes et les érudits danois entretenaient l’amour de la patrie en évoquant ses plus glorieux souvenirs. M. Holst écrivait un poème devenu populaire au milieu des camps,

  1. Runamo et les Runes, avec trois dissertations concernant les lettres runiques, l’inscription de Runamo et quelques autres monumens anciens, Copenhague, 1841, in-4o.
  2. Ce mémoire parut en 1844, sous le titre de Runamo et la bataille de Braavalla, 1 vol. in-4o avec fig. Une traduction allemande en a été publiée en 1847 à Leipzig.