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d’adresser au congrès de Washington son dernier message, prêt à descendre du pouvoir où il n’est monté que par une circonstance fortuite, par suite de la mort du général Taylor. Certes il y a toujours une grandeur véritable dans ce spectacle d’un simple citoyen quittant un poste suprême pour rentrer dans la vie privée, En constatant les progrès qu’a faits encore cette année l’Union américaine, M. Fillmore peut s’attribuer légitimement une part dans ces résultats. Le message du président des États-Unis touche à bien des points de politique intérieure et extérieure qui ont nécessairement un moindre intérêt aujourd’hui en présence du changement prochain de la direction suprême de ce puissant état. Seulement M. Fillmore rappelle avec autorité et non certes sans à-propos, au moment où le parti démocrate va monter au pouvoir, cette grande doctrine de la non-intervention qui a été toujours un des premiers dogmes des hommes d’état de l’Union. Le message de M. Fillmore ne peut que constater les bonnes relations des États-Unis et de l’Europe, et il est même modéré dans le passage qui concerne l’Espagne et Cuba. Au fond cependant, ce n’est point sans laisser percer la véritable pensée des États-Unis dans le refus qu’a fait, il y a quelques mois, le gouvernement de Washington d’accéder à une proposition de l’Angleterre et de la France. Cette proposition tendait à signer une convention par laquelle les trois gouvernemens désavoueraient, pour le présent et pour l’avenir, toute intention, d’obtenir par une voie quelconque la possession de l’île de Cuba. Le gouvernement de Washington désavoue tout projet pour faire honneur au droit public, et il refuse de s’engager, réservant ainsi le droit de l’ambition et de la conquête populaire. Il sait bien que c’est une question dont il n’a pas à se mêler et où il ne peut non plus se lier les mains.

Ainsi marche et se développe l’Union américaine, tandis qu’à côté d’elle le Mexique tombe de plus en plus chaque jour dans l’anarchie. Sur tous les points, l’insurrection éclate, toutes les provinces sont en feu, et on ne peut plus prévoir où s’arrêtera cette dissolution. Au milieu de toutes ces scènes, un des épisodes les plus curieux, n’est-ce point cette conquête de la province mexicaine Sonora, faite par un Français, M. de Raousset-Boulbon, à la tête d’une centaine de nos compatriotes ? M. de Raousset-Boulbon a bel et bien battu déjà un corps d’armée mexicain, et il ne semble point homme à s’arrêter là. Étrange destinée du XIXe siècle, de voir se renouveler quelques-uns de ces hasards et de ces coups d’audace qui font la fortune des premiers explorateurs de l’Amérique !

Tels sont quelques-uns des traits mobiles et caractéristiques de l’histoire de l’Europe et du Nouveau-Monde en cet instant où l’année 1852 va se perdre dans le passé. Crises ministérielles, réforme de constitutions, insurrections, discussions parlementaires, tout cela, c’est la surface ; au fond, ce qui l’agite, c’^est la destinée humaine, c’est la liberté morale, c’est la civilisation universelle. Tous ces intérêts nous ont précédés, ils nous survivront ; ils étaient d*hier, ils seront de demain, mais ils ont leurs épreuves et leurs éclipses. Cest à ces grands intérêts qu’il faut souhaiter que la dernière heure de 1853 les trouve florissans et prospères. C’est à eux qu’il faut répéter encore : la bonne année !

CH. DE MAZADE.