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wagons, et où ils commençaient à s’écarter l’un de l’autre. Tout le monde avait déjà passé du premier sur le second ; j’ai sauté, mais dans cette opération, ma redingote s’est accrochée au wagon que je venais de quitter. L’homme qui les séparait s’est mis à les rapprocher, et, parlant vivement, mais sans élever la voix, m’a commandé l’exercice : « Sautez en arrière ! — Attendez ! — Sautez en avant ! » Du reste, ni une explication, ni une excuse, ni un reproche. Il me semble que ce petit incident offre un frappant exemple du sang-froid et du laconisme des Américains. Plusieurs fois déjà j’ai cru voir comme une exactitude militaire transportée dans les habitudes de la vie civile. Souvent les domestiques qui apportent les plats arrivent au pas, les déposent, à un signal donné, sur la table, y placent ensuite les assiettes en exécutant un mouvement uniforme et mesuré, puis les couteaux et les fourchettes, qui retentissent en même temps comme des crosses de fusil frappant simultanément la terre. Ici tout se fait avec ponctualité, précision, rapidité ; nul n’a de temps ni de mots à perdre.


Boston, 10 septembre.

Le chemin de fer qui m’amène à Boston suit pendant quelque temps une rue de la ville. Les enfans courent près des portières de nos wagons, et les habitans debout devant leurs portes nous regardent passer. On est loin des précautions européennes ; point d’hommes sur la route du train, le bras tendu, tenant un signal. Ici, lorsqu’un chemin de fer traverse un autre chemin, en général il n’y a point de barrière ; seulement on sonne une cloche au passage du train, et un écriteau avertit les passans de faire attention quand la cloche sonnera. Si un passant ne fait pas attention ou ne se presse pas assez, si une vache se trouve sur la voie, il arrive un accident. On met dans le journal un article avec ce titre en grosses lettres : Horrible catastrophe ! et il n’en est que cela. Les wagons sont très-peu comfortables ; il n’y a point de seconde classe, chacun s’établit dans de longs omnibus attachés à la suite les uns des autres, et qui communiquent ensemble par une plateforme ; de chaque côté est une banquette à deux places, au milieu un sentier étroit et un poële de fonte. Les dossiers des banquettes ne sont pas assez élevés pour qu’on puisse appuyer la tête. On n’a ni sécurité ni commodité ; mais il y a trois mille lieues de chemins de fer aux États-Unis. Ces chemins traversent des forêts où il n’existait naguère que des sentiers d’Indiens. Si on était plus difficile et plus exigeant, on attendrait encore les chemins de fer, qui, malgré leurs imperfections, sont, il faut en convenir, plus commodes que les sentiers d’Indiens.

Boston ressemble plus à une ville anglaise que New-York ; on y