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arrivé à une situation extrême sans s’être préparé peut-être les moyens d’y pourvoir et sans être en mesure de dénouer avec autorité les difficultés qui l’environnaient ; il est tombé au dernier moment, ne trouvant pas un général pour en faire un ministre de la guerre. Le principal caractère du nouveau ministère, c’est d’être venu pour détendre cette situation, pour apaiser l’irritation des partis. La reine-mère ne paraît point avoir été étrangère à ce résultat. Qu’on nous permette seulement une remarque : c’est que cela crée pour la reine Isabelle une situation qui n’est pas sans péril entre une constitution imprudemment ou non déclarée défectueuse par la couronne — et une réforme devenue aujourd’hui plus difficile à coup sûr. Quoi qu’il en soit, le cabinet de M. Bravo Murillo n’existe plus ; mais, par une étrange bizarrerie, ce n’est point à ses adversaires les plus naturels et les plus éminens du parti constitutionnel conservateur que le pouvoir vient de passer. On peut même observer un certain soin apporté à éloigner les hommes politiques qui ont figuré dans le comité modéré formé en vue des élections prochaines.

Quels sont les membres du nouveau cabinet ? Le président du conseil, le général Roncali, est un des officiers qui ont grandi dans la dernière guerre de succession. Il était, il y a quelques années, gouverneur de Cuba, lors de la première expédition de Lopez. Une sorte d’inimitié personnelle semble exister entre lui et le général Narvaez. C’est à l’influence de la reine Christine que le général Roncali doit la position de président du conseil. L’homme le plus politique peut-être du cabinet est le ministre de l’intérieur, M. Llorente. Publiciste distingué, orateur facile, M. Llorente était autrefois de cette fraction puritaine qui marchait sous les ordres de M. Pacheco. Plus récemment, il était avec M. Bravo Murillo. Les autres ministres sont des hommes spéciaux ou des généraux. Il est difficile évidemment que de cette composition et des circonstances actuelles il puisse ressortir pour le nouveau cabinet de Madrid un caractère bien précis et bien saillant. Il cherche précisément à se créer ce caractère que son origine ne lui donne pas ; il s’efforce de vivre et de se tracer une ligne politique. Comme nous l’indiquions, son principal mérite a été de tempérer et d’adoucir ce qu’il y avait d’extrême dans la situation de l’Espagne. Si on y regardait d’un peu près, bien des complications se retrouveraient dans toute cette crise. Quant au côté politique, il est aisé de le pressentir : c’est la question même de la réforme constitutionnelle. Cette réforme s’accomplira-t-elle maintenant ? Le nouveau ministère n’a point hésité à se prononcer sur son utilité, et la meilleure raison qu’il put donner, c’est toute l’histoire contemporaine de l’Espagne, d’où il résulte qu’il n’est point de cabinet qui n’ait été forcé de suppléer par des moyens dictatoriaux aux moyens que lui donnait la constitution. Les conservateurs espagnols qui repoussent absolument cette réforme ne songent point qu’il est des heures où il faut que des institutions se modèrent pour vivre. Seulement l’essentiel est que cette œuvre s’accomplisse mûrement, librement, qu’elle soit éclairée par des discussions réflécliies, et qu’elle évite toute apparence de réaction excessive, comme le dit M. le marquis de Miraflorès dans une brochure instructive qu’il vient de publier sur ces matières. Ainsi, on le voit, l’année 1853 se, lève en Espagne sur une crise ministérielle à peine dénouée et sur des difficultés qui peuvent n’être point vidées encore.