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transformation même qui s’opère dans la vie des peuples. L’heure qui sonne nous avertirait au besoin que l’inconnu recommence sans cesse, et de même qu’aujourd’hui, en rejetant un coup d’œil vers ce passé d’un an, il y a lieu de nous demander : Qu’avons-nous fait ? qu’avons-nous conquis ? qu’avons-nous perdu ? quels gages avons-nous donnés dans nos actions à la vérité et à la justice ? — Nous pouvons aussi nous demander, au seuil de cette période nouvelle qui s’inaugure : Que ferons-nous ? quelle destinée nous attend ? que laissera dans l’histoire cette année qui va s’écouler encore ? 1852 a dévoilé tous ses secrets ; que porte dans ses flancs 1853 ? Nous ne sommes point les maîtres des événemens ; nous ne pouvons pas pénétrer l’avenir, même le plus rapproché, — l’avenir de l’heure ou de la minute qui va suivre ; mais ce qui est en notre pouvoir, c’est de demeurer fidèles au vrai et au bien : c’est la seule manière qui nous soit donnée de disposer de notre avenir. Entrons donc dans cette année qui s’ouvre avec un cœur libre et une volonté droite, avec un esprit éclairé par l’expérience et une pensée dégagée des passions d’autrefois. Heur ou malheur, ce sera alors la bonne année. La bonne année pour tous ! Nous souhaitons au bon sens et à la vérité plus de bonheur qu’ils n’en ont eu en mainte rencontre dans ces dernières années. Nous souhaitons aux peuples la modération qui fait qu’ils supportent leurs gouvernemens, et aux gouvernemens la modération qui fait qu’ils supportent les peuples tels qu’ils sont. Aussi bien il en coûte trop de tenter de supprimer les uns ou les autres. Il faut qu’ils s’accoutument à vivre ensemble avec leurs conditions mutuelles, avec leurs besoins et leurs instincts légitimes. Nous souhaitons à la littérature de meilleurs jours, aux écrivains un public et au public des écrivains. Nous souhaitons à notre pays, si ingénieux à se tourmenter, de savoir toujours ce qu’il veut, et quand il finit par l’avoir, de ne point l’échanger pour ce qvi’il n’aurait point voulu. Nous souhaitons enfin à cette civilisation européenne, qui suint par momens de si terribles éclipses, de triompher dans ce qu’elle a de bon, de juste, de sensé et d’intelligent. C’est au point de vue de cette civilisation moderne que seront définitivement jugés tous les événemens, toutes les périodes qui se succèdent.

Maintenant, aux derniers bruits de cette année qui finit et qui se rattache par tant de liens au mouvement général de ce siècle, les choses ordinaires n’en suivent pas moins leur cours. Par quels faits, par quels incidens se caractérisent ces derniers jours ? L’année 1852 ne s’est point terminée sans un nouveau succès de notre armée en Afrique. Il y a deux ans à peu près, à pareille époque, c’était Zaatcha emportée d’assaut ; aujourd’hui c’est la prise de Laghouat. Dirons-nous que c’est un pas de plus de la civilisation dans ce monde barbare ? Sans doute il reste beaucoup à faire : il reste à peupler cette terre, à la coloniser, à la conquérir au travail et à l’industrie, comme le disait. le prince Louis-Napoléon à la veille de ceindre la couronne. Il reste surtout à faire en sorte que l’Algérie se suffise à elle-même, et qu’elle devienne de moins en moins une charge pour la France ; mais n’est-ce point cette œuvre même que préparent depuis si longtemps nos soldats avec un infatigable courage ? N’est-ce point pour servir ce grand dessein que vont se dévouer quelquefois obscurément tant de brillans officiers, dont l’un, le général Bouscarin, vient de périr encore sous Laghouat ? Tandis que la France s’épuise en