père Caron lui-même, qu’on se figure tout naturellement assistant à cette rédaction et passant sa tête blanche par dessus l’épaule du frère et de la sœur. Ce passage est d’ailleurs le seul où la rédaction d’autrui entre pour une aussi forte part dans celle de Beaumarchais. Les mémoires sont donc bien de lui, entièrement de lui. L’emprunt fait à Julie ne compte même pas, car, en utilisant l’esprit de sa sœur, Beaumarchais pouvait dire : Cela ne sort pas de la famille.
Il ne me reste plus maintenant qu’à essayer de peindre exactement l’effet produit par cette lutte entre un simple particulier et un parlement détesté, que le public identifiait avec la personne de Goëzman. Cet effet fut immense et entretenu par la durée du combat, dont l’issue, retardée de jour en jour par divers incidens, se fit attendre sept mois, depuis août 1773 jusqu’au 26 février 1774. Durant ces sept mois, en l’absence d’événemens plus importans, Paris tout entier, la France, et on peut même dire l’Europe, eurent les yeux fixés sur Beaumarchais et son procès.
On sait avec quelle ardeur de curiosité et d’intérêt Voltaire suivait ce combat des hauteurs de Ferney. Bien qu’il eût d’abord écrit en faveur du chancelier Maupeou, il désertait maintenant sa cause et subissait l’influence des mémoires de Beaumarchais. « Quel homme ! écrivait-il. Il réunit tout, la plaisanterie, le sérieux, la raison, la gaieté, la force, le touchant, tous les genres d’éloquence, et il n’en recherche aucun, et il confond tous ses adversaires, et il donne des leçons à ses juges. Sa naïveté m’enchante, je lui pardonne ses imprudences et ses pétulances. » — « J’ai peur, dit-il ailleurs, que ce brillant écervelé n’ait au fond raison contre tout le monde. Que de friponneries, ô ciel ! que d’horreurs ! que d’avilissement dans la nation ! quel désagrément pour le parlement ! »
Le flegmatique Horace Walpole, quoique moins ému que Voltaire, cède également à l’attrait des mémoires. « J’ai reçu, écrit-il à Mme du Deffand, les mémoires de Beaumarchais ; j’en suis au troisième, et cela m’amuse beaucoup. Cet homme est fort adroit, raisonne juste, a beaucoup d’esprit ; ses plaisanteries sont quelquefois très-bonnes, mais il s’y complaît trop. Enfin je comprends que, moyennant l’esprit de parti actuel chez vous, cette affaire doit faire grande sensation. J’oubliais de vous dire l’horreur qui m’a pris des procédés en justice chez vous. Y a-t-il un pays au monde où l’on n’eût puni sévèrement cette Mme Goëzman ? Sa déposition est d’une impudence affreuse. Permet-on donc chez vous qu’on mente, qu’on se coupe, qu’on se contredise, qu’on injurie sa partie d’une manière si effrénée ? Qu’est devenue cette créature et son vilain mari ? Répondez, je vous prie. »
En Allemagne, l’effet n’était pas moindre qu’en Angleterre. Goethe