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c’est en vain qu’il écrit des phrases comme celle-ci : « Orateur cynique, bouffon, sophiste effronté, peintre infidèle qui puise dans son âme la fange dont il ternit la robe de l’innocence, méchant par besoin et par goût, son cœur dur, vindicatif, implacable, s’étourdit de son triomphe passager et étouffe sans remords la sensible humanité. » Son spirituel adversaire ne s’irrite pas trop contre lui : il nous le peint vulgaire, âpre au gain, indécis, timide à la fois et emporté, mais plus sot que méchant, tel en un mot qu’il se montre lui-même dans les quatre mémoires grotesques qu’il a écrits contre Beaumarchais.

Le quatrième adversaire qui se précipite sur Beaumarchais tête baissée et se fait transpercer du premier coup est un romancier du temps assez célèbre dans le genre sombre, qui se piquait, disait-il, d’avoir l’embonpoint du sentiment. C’est d’Arnaud-Baculard, qui, pour être agréable au juge Goëzman, lui écrit une lettre contenant un renseignement faux, et qui, redressé très poliment aussi dans le premier mémoire de Beaumarchais, lui répond dans le style que voici : « Oui, j’étais à pied et je rencontrai dans la rue de Condé le sieur Caron en carrosse, dans son carrosse ! » Et comme Beaumarchais avait dit que d’Arnaud avait l’air sombre, d’Arnaud s’indigne et s’écrie : « J’avais l’air non pas sombre, mais pénétré. L’air sombre ne va qu’à ces gens qui ruminent le crime, qui se travaillent pour étouffer le remords et pour faire le mal… On vous suit pas à pas dans votre mine, vous marchez à l’éruption… Il y a des cœurs dans lesquels je frémis de lire ; j’y mesure toutes les sombres profondeurs de l’enfer. C’est alors que je m’écrie : Tu dors, Jupiter ! À quoi te sert donc ta foudre ? »

On voit que si d’Arnaud, de son côté, n’est pas méchant, ce n’est pas faute de bonne volonté. Il est peut-être intéressant de reproduire ici la réponse de Beaumarchais ; on y verra avec quelle justesse d’esprit il fait la part de tout le monde et quelle sérénité gaie il apporte dans ce combat. Il commence par reproduire la phrase de d’Arnaud sur le carrosse :


« Dans son carrosse ! répétez-vous avec un gros point d’admiration. Qui ne croirait, après ce triste oui, j’étais à pied, et ce gros point d’admiration qui court après mon carrosse, que vous êtes l’envie même personnifiée ? Mais moi, qui vous connais pour un bon humain, je sais bien que cette phrase dans son carrosse ne signifie pas que vous fussiez fâché de me voir dans mon carrosse, mais seulement de ce que je ne vous voyais pas dans le vôtre.

« Mais consolez-vous, monsieur, le carrosse dans lequel je courais n’était déjà plus à moi quand vous me vîtes dedans. Le comte de La Blache l’avait fait saisir ainsi que tous mes biens : des hommes appelés à hautes armes, habits bleus, bandoulières et fusils menaçans, le gardaient à vue chez moi ainsi que tous mes meubles, et pour vous causer malgré moi le chagrin de me mon-