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La Harpe, qui a examiné un peu légèrement le fond des choses. Pour repousser l’accusation de calomnie, il est obligé de prouver qu’il a donné de l’argent à Mme Goëzman ; mais alors comment repoussera-t-il l’accusation de corruption ? En s’attachant à démontrer qu’il n’a pas voulu acheter le suffrage du mari en payant la femme, qu’il a seulement voulu obtenir des audiences indispensables, qu’il avait le droit de réclamer de la justice du conseiller et que sa femme mettait à prix d’argent. Mais le juge, au début du procès, persuadé que sa femme ne sera point compromise, croit avoir intérêt à prouver l’intention de corrompre ; aussi ne manque-t-il pas de faire observer qu’il est peu vraisemblable qu’un plaideur, à la veille d’un jugement, offre à la femme de son rapporteur 100 louis, une montre de même valeur et 15 louis, c’est-à-dire plus de 5,000 francs, uniquement pour obtenir la faveur de présenter quelques observations à un rapporteur impartial. À cela, Beaumarchais répond qu’il n’a rien offert, qu’on a tout exigé, qu’il n’a jamais été question entre lui et Mme Goëzman que d’audiences, que la justice prononce sur des faits et non sur des probabilités ; puis, retournant avec une dangereuse adresse sur l’accusateur lui-même l’arme des probabilités, il le montre complice de sa femme, très suspect d’avoir vendu, dans le procès La Blache, la justice au plus offrant, et cherchant à réduire au silence, en l’écrasant, celui des deux plaideurs qu’il a déjà sacrifié. L’intention de Beaumarchais, en payant Mme Goëzman, pouvait paraître douteuse ; ce qui toutefois résultait clairement du débat, c’est ce que, s’il y avait eu corruption, elle venait non de Beaumarchais, mais de la maison Goëzman ; que Beaumarchais, qui ne connaissait ni la femme du juge ni le libraire qui avait parlé en son nom, n’avait fait que subir les conditions qu’on lui imposait. Ce qui ressortait enfin du débat, c’est que la vénalité sordide de la femme rendait très suspecte l’intégrité du mari, et par suite l’intégrité du parlement Maupeou tout entier. Ce dernier point était la question brûlante du procès ; c’est en y touchant avec une habileté audacieuse et prudente à la fois, mêlée d’allusions transparentes et de réticences meurtrières, que Beaumarchais se trouvait tout à coup l’organe des colères et le ministre des vengeances de l’opinion contre le coup d’état qui avait détruit l’ancienne magistrature.

À cet intérêt général se joignait l’intérêt mêlé de surprise qu’excitait un homme, dont les précédens ouvrages semblaient médiocres, se montrant doué du talent le plus original, le plus varié, et donnant à des factums judiciaires tous les genres de beauté et d’agrément. Tout a été dit sur le mérite littéraire des Mémoires de Beaumarchais contre Goëzman, et nous n’avons pas l’intention d’insister beaucoup sur ce point du sujet qui nous semble épuisé. Nous voulons surtout