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de repos. Au milieu de ce trouble, Beaumarchais se voyait maintenant poursuivi en corruption et en calomnie par un juge devant des juges intéressés à le trouver coupable. Le procès, étant criminel, devait, suivant l’usage du temps, être instruit dans le secret et décidé à huis clos. Le parlement ne pouvait que s’empresser de punir avec la dernière rigueur un homme traduit devant lui pour des faits qui compromettaient l’honneur, l’existence même de ce corps judiciaire, et la jurisprudence criminelle était d’une latitude effrayante, car elle permettait d’infliger à Beaumarchais, pour le fait dont on l’accusait, la peine la plus dure après la peine de mort : omnia citra mortem.

Beaumarchais était donc arrivé à cette période extrême où le poète a dit : Una salus victis nullam sperare salutem. Placé entre deux chances à peu près égales, d’être perdu s’il se défendait régulièrement par devant ses juges, et d’être au moins ménagé s’il se plaçait avec éclat sous la protection de l’opinion publique, il n’hésite pas. Alors que les esprits les plus clairvoyans doutaient encore de ce pouvoir naissant de l’opinion, Beaumarchais n’en doute pas et s’y confie hardiment. Aucun avocat n’ose le défendre contre un adversaire aussi redoutable que Goëzman ; il sera à lui-même son propre avocat, c’est lui qui plaidera sa cause, et il la plaidera par la fenêtre. Il foulera aux pieds tous les règlemens qui ordonnent le secret des procédures criminelles, qui empêchent la nation de juger les juges, et tandis qu’on se prépare à le sacrifier dans l’ombre, il introduira la lumière partout, et appellera l’opinion à son aide ; mais pour que l’opinion réponde à l’appel d’un homme qu’elle ne connaît pas ou qu’elle ne connaît que défavorablement, il faut que cet homme sache attirer les lecteurs, les retenir, les passionner, les indigner, les attendrir, et surtout les amuser. La situation de Beaumarchais est telle qu’il est obligé, on pourrait presque dire sous peine de mort, de déployer un merveilleux talent pour donner à une affaire peu intéressante par elle-même tout l’intérêt d’un drame, d’une comédie et d’un roman. S’il se contente de se défendre convenablement, s’il se renferme dans les faits de sa cause, s’il ne sait pas rattacher à cette cause de piquans détails de mœurs et de grandes questions d’intérêt public, s’il n’est pas à la fois très émouvant et très amusant, si en un mot il n’a pas un succès de vogue, il est perdu ; le parlement se montrera d’autant plus sévère envers lui, qu’il s’est montré plus défiant de la justice à huis clos du parlement, et il a en perspective… omnia citra mortem.

Cette situation, bien faite pour démoraliser un esprit ordinaire, est précisément ce qui aiguillonne l’esprit de Beaumarchais, et lui donne comme une sorte de fièvre, reconnaissable au mouvement rapide et continu de son style, même dans les parties d’argumentation.

Au point de vue du droit, sa cause n’est pas aussi facile que le dit